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Réveil de l’orgue de Notre-Dame d’Auteuil – Une longue attente récompensée – Compte-rendu
Le bel endormi s’est enfin réveillé, avec un an et demi de retard (Pâques 2017 avait été annoncé), au point que l’on finissait par s’inquiéter de ce silence de trois années. Initié il y a huit ans déjà, le projet de restauration du Cavaillé-Coll–Gloton-Debierre (1885–1938) de Notre-Dame d’Auteuil a été mené à bien, pour un montant non communiqué, grâce à l’engagement de nombreux intervenants, dont la Ville de Paris (propriétaire), la Mairie du 16ème arrondissement, la paroisse d’Auteuil (affectataire) ou encore les indispensables donateurs. Trois journées intitulées Réveil du grand orgue ont permis d’apprécier l’heureux résultat de cette longue attente.
Si l’instrument était en bon état de conservation, tuyauterie et sommiers notamment, les travaux confiés à l’atelier de Denis Lacorre (Carquefou, Nantes) se sont révélés plus importants que prévu, avec en particulier une révision-élargissement très bénéfique de la palette des mixtures. Ainsi le plein-jeu du clavier de grand-orgue a-t-il été rétabli selon Cavaillé-Coll, avec résultante de 16’ puis de 32’ (Cornet et doubles pressions de ce même plan sonore l’ont également été). La recomposition des mixtures très aiguës (cymbales) de 1938 avait été envisagée, mais leur qualité de facture incita finalement à revoir le plan initial : l’ensemble de ces jeux de Gloton a donc été préservé, tel un témoignage de la facture des années 30, complété de pleins-jeux « plus conventionnels au Positif et au Récit » et d’un plein-jeu « classique » judicieusement ajouté au grand-orgue, en complément de celui de Cavaillé-Coll, d’une autre esthétique. Force est de reconnaître que l’équilibre obtenu est de toute beauté ! Mention particulière pour celui des anches – on se souvient que celles de pédale étaient très sonores, presque « en dehors » : elles s’intègrent désormais parfaitement aux différents paliers dynamiques, jusqu’au tutti, la puissance de l’instrument invitant toutefois à un dosage des plus éclairés…
La première occasion d’entendre l’orgue restauré, « globalement » compte tenu du répertoire, fut le concert du vendredi 21 septembre : Widor et Fauré, puis Messe solennelle de Louis Vierne – au grand orgue Frédéric Blanc, titulaire, à l’orgue de chœur Jorris Sauquet, les Chœurs Sprezza et Sul’ Fiato étant dirigés par Sébastien Fournier. (L’œuvre de Vierne fut reprise le dimanche 23 lors de la messe de bénédiction présidée par Mgr Antoine de Romanet, évêque aux Armées, précédemment curé d’Auteuil et qui à ce titre avait lancé le projet – poursuivi par son successeur Olivier Teilhard de Chardin.) La musique alternait, le vendredi soir, avec des lectures enflammées de Brigitte Fossey, familière de l’instrument orgue (Festivals Toulouse les Orgues, de Toul…) et puissamment investie : Saint-Exupéry, Hugo, Lamartine, saint Jean de la Croix.
L’heure de vérité vint le lendemain, avec pas moins de neuf concerts enchaînés tout au long de l’après-midi, soit autant de musiciens invités (huit Parisiens, un Toulousain), dont un duo, en plus du titulaire. Outre ses qualités esthétiques et de facture, la grandeur d’un orgue résulte de sa capacité à permettre aux musiciens les plus différents de librement s’affirmer sans trahir la personnalité de l’instrument. Nul doute que, sous cet angle comme celui de l’esthétique et de la facture, l’orgue d’Auteuil est d’une vraie grandeur. Car le sentiment dominant de ces cinq heures interrompues de musique, le samedi 22 septembre, fut précisément l’étonnement constant d’entendre un orgue plus caméléon que jamais, se renouvelant sans cesse grâce aux musiciens de talent le touchant dans des répertoires débordant largement celui auquel, à tort évidemment, on serait tenté de le circonscrire.
Françoiqs-Henri Houbart © DR
Tout commença dans l’extrême et poétique douceur des fonds doux et délicieusement flûtés, comme si l’orgue émergeait symboliquement des limbes : Passacaille de Bach par François-Henri Houbart (La Madeleine), sur un tempo idéal jusqu’à un Tema fugato d’une conquérante splendeur, puis Vierne et la propre Partita sur le Sanctus de Michel Chapuis d’Houbart, éloquente démonstration, entre autres aspects, des bienfaits de la palette des mixtures repensée. Vincent Crosnier (Enghien) prit la suite : Hornpipe de Haendel version Guillou (cadence sidérante !) et Enfantines de Guillou (supposées « accessibles » – ne pas rêver !), soit l’aspect « orgue contemporain » de celui d’Auteuil, hautement convaincant, également René (Prélude grave) puis Louis Vierne : Carillon de Westminster – qui avait refermé le dernier concert avant restauration (1) –, sans le mystère d’un Récit expressif de cathédrale, ce qui ne tient pas à l’instrument (doté d’un grand Récit en 16’) mais aux dimensions de l’église.
S’ensuivit un pur moment de grâce : Danse macabre de Saint-Saëns, spirituelle et piquante Sonate parisienne de Julien Bret, d’une si pimpante élégance, Ouverture de La Flûte enchantée de Mozart, le tout à quatre mains par Julien Lucquiaud (Saint-Dominique) et Jorris Sauquet (Notre-Dame-du-Rosaire), d’une musicalité épanouie, trouvant des mélanges de timbres inventifs et chaleureux : plénitude et légèreté – et d’une synchronisation dont la perfection permit d’apprécier la nouvelle transmission numérique, d’une vive fiabilité. Jean-Marc Leblanc (Saint-Merry, Saint-Thomas-d’Aquin) offrit trois pièces de son auteur de prédilection : Charles Tournemire – l’orgue d’Auteuil, par nature et destination, est idéal dans le répertoire des années 1920-1930, puis Éric Leroy (Saint-François-Xavier) fit merveille dans une Toccata XI de Muffat, à faire s’imaginer qu’il jouait un orgue « classique », contraste renforcé par ses Lefébure-Wely, Dupré et Vierne, romantique et symphoniques à souhait.
Michelle Guyard (Salpêtrière, Saint-Merry) réitéra l’expérience « classique » : captivante Chaconne en fa mineur de Pachelbel magnifiant les jeux de détail, de même la Suite du 2ème ton du Québécois Denis Bédard, avec le contraste qui sied : Adagio de la Symphonie n°3 de Saint-Saëns (étonnante version pour orgue seul, parfaitement viable), Prélude et Fugue en sol mineur de Dupré – chapeau bas. Raphaël Tambyeff (Notre-Dame-de-Grâce-de-Passy) brossa un vaste panorama de timbres et de climats : Saga n°1 de Guillou (dont l’œuvre occupe une place de plus en plus grande dans les programmes de concert), Marche de fête de Busser, la bien-nommée, envoûtante Pavane de Fauré (transcription de l’interprète), Incantation pour un jour saint de Langlais, magistrale. Jean-Claude Guidarini (Notre-Dame-du-Taur, Toulouse) osa l’Aria variata alla maniera italiana de Bach, autre démonstration pour le moins bluffante de la vivacité de la transmission numérique (ornements et gloses d’une précision inouïe), à laquelle répondirent, en un contraste marqué, deux raretés : Prélude de l’opéra de César Franck Ghiselle, Sortie (des Six Pièces) de Guy Ropartz. Frédéric Blanc referma cette riche présentation de l’orgue restauré – une réussite d’autant plus indéniable que l’on tremble toujours à l’annonce d’un relevage, l’orgue risquant chaque fois d’y laisser une part de lui-même, de son mystère, de sa « fragilité » – avec Jehan Alain (dont le père, Albert, avait été l’un des conseillers de la restauration de 1938) et Maurice Duruflé, des Litanies au Prélude et Fugue sur le nom d’Alain, une improvisation enchaînant sur l’office du soir…
L’orgue d’Auteuil est de retour parmi les instruments parisiens qui comptent. Nul doute que le concert mais aussi le disque, comme précédemment et plus encore sans doute, ne cesseront de le confirmer.
Michel Roubinet
Paris, église Notre-Dame d’Auteuil, 21, 22 et 23 septembre 2018
(1) http://www.concertclassic.com/article/dernier-concert-avant-relevage-de-lorgue-cavaille-coll-gloton-debierre-dix-organistes-notre
http://www.aeolus-music.com/ae_fr/Instruments/Orgue/Paris-Notre-Dame-d-Auteuil
Sites Internet
Histoire de l’église Notre-Dame d’Auteuil et de son orgue Cavaillé-Coll–Gloton-Debierre
https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Paris/Paris-Notre-Dame-d-Auteuil.htm
https://www.aeolus-music.com/ae_fr/Instruments/Orgue/Paris-Notre-Dame-d-Auteuil
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