Journal
Roland Pöntinen et Marc-André Hamelin au Festival de Verbier - Le piano aux mille visages - Compte rendu
Sans avoir rang de star tapageuse comme Yuja Wang, qui enchaîne ici trois concerts, dont le dernier consacré à la musique de chambre(1), deux des pianistes conviés le même jour à Verbier ont fait mesurer l’immense variété de portée et de style de la sphère du clavier : quel rapport entre le Canadien Marc-André Hamelin, que l’on entend trop peu en France, et le Suédois Roland Pöntinen (photo), que l’on y entend encore moins, sinon que ces deux artistes, au faîte de leur talent - la cinquantaine tous deux - offrent un vrai voyage dans l’infinie variété des ressources du piano et extériorisent un tempérament, une force d’approche qui ne peuvent laisser indifférent ? Rien donc, pas même l’instrument, puisque le Bösendorfer joué par Hamelin le matin laissait la place l’après-midi pour Pöntinen à un Steinway, dans le même lieu : ce qui donnait aussi l’occasion de s’affiner l’oreille !
Deux grands virtuoses, deux natures : la surprise vient surtout de Roland Pöntinen qui impose une vision sidérante des pièces auxquelles il s’attaque. Un univers à part, austère, parfois pesant, dont il applique les constantes à tous les répertoires, semble-t-il. Quoi de l’élégant éclat de la Polonaise-Fantaisie opus 61 de Chopin, de l’évocation des salons brillants, quoi de l’italianité du hongrois Liszt, cherchant soleil, légèreté et lumière dans ses pèlerinages méditerranéens, que ce soit pour le Sposalizio, ou Les jeux d’eau à la Villa d’Este, sinon les pas de quelque troll des montagnes, le son des déluges s’abattant sur les fjords ! Quoi encore de la vivacité scintillante d’El Albaicín d’Albéniz, plus proche ici de Moussorgski que de la brûlante Ibérie ?
Rien, sinon une prise de possession radicale, qui n’imposait qu’un seul univers, le sien, mais avec une intensité confondante. Moins de surprises avec quelques Etudes de Debussy - Quartes, Degrés Chromatiques, Sonorités opposées, Arpèges composés, Accords -, dont la complexité d’écriture permet surtout de juger de la technique du pianiste, plus que de sa personnalité. Finalement peu jouées, en raison de leurs embûches pas toujours séduisantes, ces pièces étaient là au meilleur de leur étrangeté. Français, hongrois, italien, espagnol, tout dans ce concert transportait en fait dans le monde nordique, la solitude des rivages baltiques, où le temps ne joue plus. Un espace de grande solitude, où nous a entraînés le talent rare de Pöntinen.
Marc-André Hamelin © Nicolas Brodard
Avec Marc-André Hamelin, une mesure tout autre de l’écoute : on peut certes parler d’académisme, d’autoritarisme aussi, mais là ce n’est plus à l’égard des compositeurs mais du clavier qu’il s’agit, avec lui, car il lui mène la vie dure ! Une clarté admirable, une lecture analytique impeccable, qui donnait aux Impromptus de Schubert, D.935, une force toute beethovénienne, une opulence qu’on ne trouve pas toujours dans ces pièces dont la grâce légère fait le charme. Il était pourtant difficile de résister à ce discours péremptoire, mais si bien tenu, si éclatant. Et encore plus de ne pas se laisser prendre à la montée lisztienne, de la Sonate en si mineur, dont l’interprète mettait en regard toutes les intentions aussi pensées que spontanées, dans un édifice à la beauté bouleversante.
Là, on s’est cependant dit que le Bösendorfer, parfait pour Schubert, sonnait de façon trop métallique pour le langage plus nourri, les sonorités plus en fond de touche qu’on attend pour Liszt. Mais ce n’était que petite réserve en regard de la vision forte et riche du pianiste, dont on sait la grande curiosité musicale et l’immense variété de répertoire, notamment en matière de musique contemporaine. De grandes heures ont encore sonné dans ce pléthorique festival qui accumule les surprises et les coups d’éclat.
Jacqueline Thuilleux
(1)Yuja Wang, le 30 juillet, Combins, avec Leonidas Kavakos, Roman Somoviç, Blythe Teh- Engstroem, Gautier Capuçon, Martin Fröst.
Verbier, Eglise, le 25 juillet 2016
Festival jusqu’au 7 août 2016. www.verbierfestival.com
Photo Roland Pöntinen © Aline Paley
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