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Roman Borisov inaugure le Festival L’Esprit du Piano 2022 (Bordeaux) – L’évidence de l’exception – Compte-rendu
Les interprètes de la nouvelle génération occupent une place de choix, comme toujours, à l’affiche de L’Esprit du Piano, ce qui n’est pas pour surprendre quand on sait que sa programmation est l’œuvre de Paul-Arnaud Péjouan, qui assure par ailleurs la co-direction du Festival Piano aux Jacobins et du Festival Piano en Valois d’Angoulême. Ce dernier est lui aussi connu pour son goût de la découverte. C’est là qu’un certain Arcadi Volodos a fait ses débuts français il y a bien longtemps ; là aussi qu’en 2015, dans le cadre d’un partenariat avec le Conservatoire de Novosibirsk, un jeune pianiste de 12 ans, Roman Borisov – un élève de Mary Lebenzon – a fait sa première apparition française, qui constituait ... le premier véritable récital de sa carrière !
Sept ans après Angoulême, Roman Borisov – désormais installé en Allemagne où il étudie auprès d’Eldar Nebolsin à la Hochschule Hanns Eissler de Berlin – retrouve la France fort de divers succès parmi lesquels, pour ne citer que le plus récent, le Premier Prix de la KlavierOlymp de Bad Kissingen le mois dernier. Une compétition qui, depuis son lancement en 2003, a couronné des personnalités telles que Behzod Abduraimov, Kit Armstrong, Kirill Gerstein, Martin Helmchen, Igor Levit, Herbert Schuch ou Anna Vinnitskaya ; liste prestigieuse à laquelle, avec Roman Borisov, s’ajoute le nom d’un grand de demain. Et même d’un très grand ; on en prend le pari après avoir assisté à son récital bordelais.
© Stephane Delavoye
Sonate op. 14 n° 2 de Beethoven : l’œuvre n’a certes pas la popularité de la « Pathétique », qui la précède de très peu dans la chronologie. Après le sombre Opus 13, la 10e Sonate en sol majeur, contraste du tout au tout. Pas de titre et une manière d’adieu souriant au monde de Haydn, que Roman Borisov, d'un style parfait, aborde avec une rare justesse de coloris et de caractère (cet Andante, irrésistible de malice !) et un modelé de la sonorité fruit d’une savante pédalisation.
Cet aspect ne force pas moins l’admiration dans les quatre Klavierstücke op. 119 de Brahms où la maturité et la justesse de ton d’un interprète de moins de vingt ans sidèrent littéralement, de la prégnante mélancolie de l’Intermezzo introductif – d’une rare profondeur de champ psychologique – jusqu’à la Rhapsodie conclusive vibrante des souvenirs d’une ardente jeunesse.
Avec les trois Impromptus op. 68 de Lowell Liebermann (né en 1961), Roman Borisov aborde un cahier daté de 2000 dans lequel le compositeur étatsunien assume deux siècles d’héritage de la forme impromptu avec un lyrisme et une souplesse de la phrase auxquels le pianiste adhère pleinement. La liberté, la mobilité des couleurs, la longueur d’archet, pourrait-on dire, de son jeu témoignent d’une absolue maîtrise du clavier.
La conclusion revient à la Sonate n° 7 de Prokofiev, souvent dévoyée par des approches excessivement démonstratives. Rien de cela de la part de Roman Borisov, qui signe une interprétation incroyablement décantée, servie par une inépuisable imagination poétique. L’accent mis sur le caractère inquieto du premier mouvement donne le ton : on a souvent entendu l'Opus 83, mais très rarement à ce point hanté. L’Andante central se mue en un saisissant bal de spectres, avant le surgissement du Precipitato, supérieurement dominé.
En bis, la Polka de W.R. de Rachmaninov et la Carmen Fantasy d’Horowitz, emportées dans un élan formidable, concluent un récital révélation : il place sous les meilleurs auspices la 13e édition de L’Esprit du Piano. La fête du clavier bordelaise se prolonge jusqu’au 6 décembre, avec Lucas Debargue, Grigory Sokolov, Julian Trevelyan, Leif Ove Andsnes, Irina Lankova, Nour Ayadi et Kotaro Fukuma, sans oublier un important volet jazz : Macha Gharibian, Harold López-Nussa et Chucho Valdés.
Alain Cochard
Bordeaux, église Notre-Dame, 9 novembre 2022 / Jusqu’au 6 décembre : https://www.espritdupiano.fr/
Photo © Stéphane Delavoye
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