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Romeo Castellucci met en scène Jeanne au bûcher à l’Opéra national de Lyon – « Jeanne est d’abord un être humain que je veux libérer du poids des clichés »
Avec Jeanne au bûcher de Paul Claudel et Arthur Honegger à l’Opéra national de Lyon, Romeo Castellucci (photo) signe l’un des spectacles les plus impatiemment guettés de ce début 2017. « J’ai toujours été fasciné par le personnage de Jeanne. Lorsque Serge Dorny m’a proposé Jeanne au bûcher, je n’ai pas eu une hésitation. C’est un ouvrage tellement problématique que j’ai dit oui, confie l’artiste italien. Claudel et Honegger ont imaginé une œuvre pleine de possibilités, de dangers aussi. Il faut éviter de tomber dans le piège de la stéréotypisation du personnage, très chargé, récupéré par tous les partis, toutes les idéologies. Jeanne est d’abord un être humain que je veux libérer du poids des clichés. »
Réalisation singulière, l’ « oratorio dramatique » de Claudel et Honegger « présente un aspect cinématographique très audacieux pour son époque « [achevé en en 1935, il fut créé à Bâle en 1938, ndr ]. Castellucci décrit Jeanne au bûcher comme "une sorte d’excavation dans l’histoire de la musique ». Plutôt que de chercher à « donner un panorama historique à partir de tout ce qui est connu – trop connu – » il a préféré suivre « une ligne verticale » afin de « dépouiller le personnage des couches successives qui se sont déposées sur lui au fil du temps. »
Le metteur en scène utilise l’image d’une « fleur qui s’ouvre » ; il aspire à « révéler une jeune femme seule abandonnée de tous. Un personnage qui s’inscrit pleinement dans le cadre anthropologique du bouc émissaire, thème cher à René Girard, et qu’il fallait libérer pour en faire un miroir pour le spectateur. C'est un personnage tragique, écrasé non seulement par le pouvoir mais aussi par le destin : « Pourquoi moi ? » demande-t-elle. »
Kazushi Ono © Eisuke Miyoshi
Ouvrage « hétérodoxe » et « objet conceptuel pour Honegger » selon Castellucci, Jeanne au bûcher confronte le metteur en scène à vrai défi qu’il relève avec un bonheur évident en collaborant pour la première fois avec les comédiens Andrey Bonnet et Denis Podalydès et le chef Kazushi Ono, dont il apprécie à l’évidence la rigueur et l’ouverture d’esprit.
« Nous avons profité du caractère expérimental de l’ouvrage de Claudel et Honegger, explique-t-il. Avec l’accord du chef, les voix des chanteurs (1) font l’objet d’un traitement acousmatique et partant « se muent en voix des revenants qui envahissent Jeanne au cours d’un vertigineux flash-back »
Audrey Bonnet © Romain Kronenberg
Castellucci avait découvert Audrey Bonnet au Festival d’Avignon en 2011 dans Clôture de l’amour de Pascal Rambert. Lorsque Serge Dorny lui a proposé de s’attaquer à Jeanne au bûcher, c’est à elle qu’il a immédiatement songé. « Audrey est un actrice très intense, j’ai imaginé mon projet en pensant à elle. Elle est totalement plongée, de manière impressionnante, dans son personnage ; elle est ailleurs. »
Une première collaboration – « et j’espère que ce ne sera pas la dernière », ajoute Castellucci ! – avec une jeune artiste que l’on retrouve aux côtés de Denis Podalydès en Frère Dominique – « un luxe », se réjouit le metteur en scène.
« Oublier tout ce que l’on connaît à propos de Jeanne, personnage qui a été brûlé par l’idéologie, mais aussi par la publicité, par les médias, etc. » : ainsi l’Italien a-t-il abordé Jeanne au bûcher ; ainsi faut-il aussi partir à la découverte du spectacle que la scène lyonnaise accueille pour neuf représentations, du 21 janvier au 3 février.
Mais Castellucci n’a pas fini de nous suprendre. Côté théâtre un projet tiré de La Démocratie en Amérique de Tocqueville est en préparation pour Bobigny à l’automne prochain. Quant au lyrique, Tannhaüser arrive dès le mois de mai au Staatsoper de Munich sous la baguette de Kirill Petrenko – une autre première collaboration pour le metteur en scène. Suivront Le Radeau de la Méduse de Henze au Dutch National Opera (en mars 2018), Salomé au Festival de Salzbourg (juillet 2018), La Flûte enchantée à la Monnaie (sept 2018) et, enfin, Il primo omicidio d’Alessandro Scarlatti à l’Opéra de Paris (Garnier) en janvier 2019.
Alain Cochard
(Entretien avec Romeo Castellucci réalisé le 13 janvier 2017)
(1) Ilse Eerens (La Vierge), Valentine Lemercier (Marguerite), Marie Karall (Catherine) & Jean-noël Briend (une voix, Porcus, 1er Hérault, Le Clerc)
Claudel/ Honegger : Jeanne au bûcher
Les 21, 23, 25, 27, 29 & 31 janvier et les 2 & 3 février 2017 / www.opera-lyon.com
Photo Romeo Castellucci © Luca del Pia
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