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Rusalka selon Christof Loy au Teatro Real de Madrid (Streaming) – Ondine la ballerine – Compte-rendu
Le monde extrêmement réglé du ballet, son exigence, ses lois, ses contingences, permettent à Loy d’exploiter la dualité qu’éprouve Rusalka, partagée entre son amour pour la danse et son désir d’en finir avec lui, de devenir libre, de vivre et d’aimer. Conscient du danger que court Rusalka, le maître de ballet tente de la ramener à la raison, mais celle-ci est amoureuse et rien ne peut l’arrêter ; il ne lui reste plus qu’à monnayer son départ en se délestant de ses bijoux pour retrouver son bien-aimé – lui aussi sur des béquilles mais en raison d’une chute bien réelle celle-là ! – et quitter enfin cette prison.
En route pour se marier à celui en qui elle a mis toute sa confiance, Rusalka va cependant déchanter rapidement. De retour au théâtre, qu’elle n’aurait jamais dû quitter, la petite ballerine ne parvient pas à oublier l’homme qui l’a pourtant trahie et ne pourra résister à son pardon lorsque, repenti, il viendra mourir à ses pieds.
Sans tout à fait posséder la grâce aérienne d’une sylphide, Asmik Grigorian (photo) incarne le personnage principal avec un naturel confondant. Après avoir enflammé le public salzbourgeois en 2018 avec une ensorcelante Salomé (Castellucci), puis l’été dernier avec Chrysothémis dans l’Elektra confiée à Warlikowski, et abordé répertoire italien (Butterfly à Rome en 2015) et russe (Eugène Onéguine à Berlin en 2016, dans une mise en scène de Barrie Kosky), la soprano est tout aussi impressionnante chez Dvorak.
Sur ses béquilles, à terre ou sur pointes, la pâle et juvénile ballerine traverse les épreuves avec l’endurance exigée par le rôle, mais aussi une touchante fragilité qui fait tout le prix de son approche. Son chant qui possède une incontestable autorité est d’un bout à l’autre de l’œuvre contrôlé, fier de sa pulpe et de cet aigu conquérant lancé avec ivresse au dernier acte. La cantatrice que tout le monde s’arrache devrait être sur la scène du Palais Garnier en mai prochain pour interpréter Lisa (La dame de Pique par Tcherniakov), l’occasion d’aller l’acclamer pour ses débuts parisiens.Eric Cutler, applaudi récemment dans l’Hoffmann d’Offenbach vu par Warlikowski à Bruxelles avec Patricia Petibon, fait lui aussi grande impression dans le rôle du Prince. Sa voix disciplinée, son timbre élancé et son émission soignée constituent de précieux atouts pour ce ténor en pleine ascension.
Comme toujours sur la scène madrilène, la distribution est exemplaire : Katarina Dalayman très en voix, se rit de l’écriture réservée à la sorcière Jezibaba qu’elle a l’intelligence de ne pas transformer en caricature (même si son costume rappelle celui de la grosse femme d’Amarcord de Fellini), à l’image de Karita Mattila impressionnante dans le rôle de la Princesse étrangère, véritable vamp ici, fait pour ses immenses moyens vocaux et théâtraux. Maxim Kuzmin-Karavaev offre un Odin à la présence savoureuse, très justement entouré de Manel Esteve, excellent Garde-Chasse, de l’amusant Marmiton de Juliette Mars, sans oublier les Dryades-Ballerines des ravissantes Julietta Aleksanyan, Rachel Kelly et Alyona Abramova.
Dans un répertoire dans lequel on n’attend pas forcément Ivor Bolton, bien qu’il ait déjà dirigé la Jenufa de Janáček au Real de Madrid en 2009, ce dernier aidé par les instrumentistes de l’orchestre symphonique de de la ville, se montre particulièrement habile, inspiré par une partition fiévreuse et enivrante où le prosaïque côtoie le merveilleux – un ouvrage sans réel équivalent dans l’histoire de la musique.
François Lesueur
Nouvelle production du Teatro Real, en co-production avec le Säschsische Staatsoper de Dresde, le Teatro Comunale de Bologne, le Gran Teatre del Liceu of Barcelona et le Palau de les Arts Reina Sofia de Valencia.
Photo © Monika Rittershaus
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