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Salome Jordania et Miyu Shindo au Festival de Menton 2024 / « Jeunes talents Yamaha » – Affinités scriabiniennes – Compte-rendu

 

En plus des rendez-vous du soir sur le parvis de la Basilique Saint-Michel Archange, le Festival de Menton propose des concerts de fin d’après-midi au Palais de l’Europe – moment où la climatisation du lieu s’avère on ne peut plus appréciable ... – qui font une large place aux jeunes interprètes. Ainsi, dans le cadre de série « Jeunes talents » en partenariat avec Yamaha, a-t-on pu écouter la Géorgienne Salome Jordania (photo, 28 ans) et la Japonaise Miyu Shindo (22 ans). S’agissant première – passée par la Juilliard School, Yale et la Guildhall School – des échos enthousiastes nous étaient parvenus du Festival Piano aux Jacobins où elle a été très remarquée en 2022 au point d’y être réinvitée dès l’année suivante.
 

Salome Jordania © Loïc Lafontaine

Rumeur positive plus que fondée, comme l’a démontré un programme réunissant des pages de Liszt, Scriabine et Ravel. La richesse de timbre, le sens des plans sonores et le souffle avec lesquels la jeune femme aborde Les Cloches de Genève (1ère Année de Pèlerinage) traduisent d’emblée un riche imaginaire sonore et rendent impatient de découvrir la suite ... Scriabine a on le sait été bien plus influencé par Chopin que par Liszt durant ses années de jeunesse. Reste que le Poème satanique du Russe procède d’abord et avant tout de l’univers de l’auteur de la Méphisto-Valse. On est certes encore loin des abîmes de noirceur des Sixième et Neuvième Sonates, mais Salome Jordania parvient à saisir le foisonnement de la pièce, à traduire ses fulgurances et sa mobilité de façon particulièrement suggestive.

Suit la Sonate n° 2 « Sonate-Fantaisie » du même compositeur. Un univers mouvant, vibrant de potentialités, de prémices, que la pianiste pénètre avec une palette sonore très variée – bien aidée par le beau CFX qu’elle touche – sachant mettre en valeur la dimension « fantaisie » de l’inspiration avec relief et sens narratif. Scriabine réussi décidément à Salomé Jordania : servi par une pédalisation admirable, le Nocturne pour la main gauche se déploie avec un lyrisme ausi prenant que rêveur. Un moment de calme avant que l’interprète ne se lance dans La Valse de Ravel. Souvent dévoyée par une virtuosité extérieure et tapageuse, la pièce est servie par une approche jamais en force, d’une délicatesse arachnéenne parfois même, mais qui captive immanquablement par sa concentration poétique.
 

Miyu Shindo © Loïc Lafontaine
 
Avec Miyu Shindo, on découvre une jeune artiste qui, après avoir étudié à Moscou, poursuit à présent son cursus auprès d’Arie Vardi à la Hochschule de Hanovre. Beethoven et Chopin occupent un programme ouvert par la fameuse Sonate « Clair de lune ». Si le premier mouvement possède les nuances requises, le Minuetto paraît excessivement alenti et le finale manque d’urgence. Trop sage. Des Préludes op. 28 de Chopin, la Japonaise a décidé de jouer les nos 15 à 24. Il s’agit de là de réinventer un cycle dans le cycle et Miyu Shindo offre de beaux instantanés poétiques en s’appuyant sur un technique d’une grand souplesse (remarquable présence de la main gauche dans le périlleux n° 16). Manque toutefois une certaine radicalité dans l’approche pour que la conclusion, si définitive, du Prélude en ré mineur touche pleinement sa cible.
 
Alain Cochard

 

Menton, Palais de L’Europe, 7 août 2024
 
Photo © Loïc Lafontaine

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