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Samson et Dalila à l’Opéra Bastille - De l’or et des cailloux - Compte-rendu
Beaucoup de temps s’écoula avant que Samson et Dalila, créé à Weimar grâce à Liszt en décembre 1877, ne trouve sa place sur nos scènes en 1890, d’abord à Rouen puis à l’Eden Théâtre, et en 1892 à l’Opéra de Paris. Celui-ci, dès sa nouvelle scène à Bastille, l’inscrivit à son répertoire en 1991, peu après son ouverture. C’était alors Myung-Whun Chung qui était aux commandes et Pier Luigi Pizzi qui signait mise en scène, décors et costumes. Puis plus rien, jusqu’à cette production qui ne fera certes pas date dans l’histoire visuelle de l’opéra français mais marquera tout de même par son haut pouvoir émotionnel, dû à quelques personnalités d’exception.
Opéra bizarre que Samson et Dalila, où le chœur joue un rôle majeur, l’apparentant parfois presque à un oratorio sacré, dont les grands moments d’action restent en filigrane. Option que le metteur en scène Damiano Michieletto a d’ailleurs respectée, ne surchargeant pas le propos, en dehors de la longue scène entre Dalila et Samson au 2e acte et la bacchanale peu chorégraphiée qui précède l’anéantissement final.
Mais quelle musique d’or, de sang, d’ambre ! Et comme elle correspond peu à l’idée que l’on se fait du sage Saint-Saëns, lequel cédant aux mirages de l’exotisme ambiant, fut envoûté par l’Egypte et l’Algérie, au point d’y finir ses jours. Musique enveloppante, sinueuse, chargée de parfums, amoureuse, où vibrent encore les odalisques de Chassériau, plus que les déités étranges de Gustave Moreau, qui les suivirent. Avec des pointes de légèreté dansante qui conduisent vers Delibes, ou se rapprochent de la Nuit de Walpurgis de Gounod, et quelques moments pesants de pur académisme pompiériste, dans le très pesant « Gloire à Dagon », pas si éloigné du tout aussi laborieux « Gloire à Didon » du Berlioz des Troyens.
Le premier miracle vient ici de l’Orchestre de l’Opéra : Philippe Jordan qui n’avait guère fréquenté l’œuvre, s’y est à l’évidence attelé sans idée préconçue, sans poids de tradition, et incontestablement, il a été séduit, et nous séduit par la tendresse frémissante avec laquelle il accompagné les langueurs de Dalila, les plaintes du peuple juif. On n’oubliera pas le lever de rideau musical où il laisse peser avec une tristesse bouleversante, la lamentation sans fin d’Israël, parqué dans une sorte de camp de concentration auquel on ne prête pas grande attention, tant la portée de la musique passe ici tout artifice visuel, les geôles philistines ne devant sans doute pas être plus douces que celles d’Auschwitz. Pour le reste, il n’en sera pas de même, car après la grisaille, on attend tout de même le charme, hélas… Pour clore cette séquence biblique, Jordan retrouve ensuite sa passion straussienne et la chute finale prend sous sa baguette survoltée des airs d’Elektra ou de Salomé.
@ Vincent Pontet / Opéra national de Paris
On s’est surtout émerveillé de la finesse avec laquelle il a obtenu de l’orchestre une sorte de murmure, pour ourler la voix suave, aux infinies couleurs d’Anita Rachvelishvili, dont le physique plantureux laisserait augurer une émission chargée, alors qu’il n’en est rien. Prononciation à peu près parfaite, légèreté subtile d’une voix qui ondule comme une arabesque, s’insinue comme une vapeur, pour un inoubliable « Printemps qui commence », presque aussi ensorceleur que celui gravé par une certaine Maria Callas. Le public, suspendu, en frissonnait d’aise. Puis sa voix s’est enflée jusqu’à la démesure dans les éclats de sa fureur au 2e acte, avant de se faire d’un lyrisme torride pour son troisième grand air, « Mon cœur s’ouvre à ta voix ». Trois facettes vocales, gérées avec une superbe maîtrise, et un jeu dont chacune de ses apparitions, de Carmen à Liubacha, d’Amnéris à cette Dalila, montrent l’intelligence, la profondeur et la justesse. Pour le reste, elle dominait par son engagement la miteuse nuisette peu seyante pour sa silhouette plantureuse dont la costumière Carla Teti l’avait affublée, avant de finir en tenue de carnaval doré, au cœur de la partouze finale.
Face à elle, et c’est normal, le Samson du letton Aleksandr Antonienko ne faisait presque pas le poids ! Une stature considérable qui n’a rien de gênant pour le rôle, une composition scénique tout à fait plausible, un potentiel de sympathie non négligeable, mais une voix malheureusement nasillarde, même si elle s’est peu à peu chargée d’une émotion qui tenait lieu de nuances. Mais l’on sait combien ce rôle difficile, qui ne comporte de surcroît que peu d’airs séduisants, contrairement à la chanceuse Dalila, que Saint-Saëns lui a incontestablement préférée, n’a réussi qu’à peu de ténors, ceux de la race des légendes, de Vickers à Domingo. Mêmes réserves pour l’attachant grand prêtre d’Egils Silins, de belle allure mais de voix fluctuante, et pour l’Abimélech de Nicolas Testé, dont l’émission a paru fatiguée, même si sa présence convainquait.
© Vincent Pontet / Opéra national de Paris
Reste le chœur (préparé par José Luis Basso), grand héros de l’histoire : il a composé dans sa longue scène inaugurale, portée tout en douceur par la baguette inspirée de Philippe Jordan, une sorte de symphonie de douleurs, de houle pitoyable qui étreignait. Une remarquable réussite. Reste enfin l’image, et là ce ne fut que grisaille, sauf l’incendie final, que le metteur en scène Michieletto a substitué à l’effondrement des colonnes du temple. Il faut dire que de temple, il n’y avait guère, juste une sorte de hall de gare blafard, succédant à une chambre deux étoiles d’hôtel lambda, sortie du plus fade XXe siècle, et à un espace noirâtre de camp d’extermination au 1er acte. Avant que Dalila, apportant une flamme purificatrice à Samson, ne l’aide à embraser cette pourriture humaine qui le torture. Et c’est bien là l’idée la plus intéressante du metteur en scène, qui fait de Dalila un personnage ambigu, écœuré par la bassesse de son peuple, sorte de victime de la fatalité qui a fait d’elle un bourreau. Pour cela, Michieletto, qui ne manque pas de finesse psychologique dans l'approche de ses personnages, a tiré d’Anita Rachvelishvili le meilleur, toute une palette de sentiments contrastés que cette formidable actrice fait ressortir d’un seul regard, d’un rictus ou d’un sourire navré. Du très grand art, qui donne toute sa richesse à ce rôle fascinant. C’est cela surtout que l’on gardera.
Jacqueline Thuilleux
Saint-Saëns : Samson et Dalila – Paris, Opéra Bastille, le 4 octobre 2016 ; prochaines représentations les 7, 10, 13, 16, 19, 24, 27, 30 octobre, les 2 et 5 novembre 2016. www.concertclassic.com/concert/samson-et-dalila
Photo © Vincent Pontet
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