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Sir John Eliot Gardiner dirige le Philharmonique de Radio France - Feu et flamme en prélude au couvre-feu – Compte-rendu
Donné à l’auditorium de la Maison de la Radio la veille même de la mise en place du couvre-feu, avec un programme romantique allemand par le Philharmonique de Radio France mené par John Eliot Gardiner (photo), ce concert conjugue tout pour séduire. Ce n’est pourtant pas faute de bouleversements ! En raison des difficultés de déplacement dues aux restrictions sanitaires liées au Covid, le chef américain David Zinman, initialement prévu, avait été remplacé une quinzaine de jours auparavant par Gardiner – et le baryton Stephen Powell, par Tareq Nazmi –, pour un programme écourté avec la suppression de l’Inachevée de Schubert. Mais voilà qu’un jour seulement avant, le Chœur de Radio France faisait lui aussi défection, pour cause cette fois de la présence du virus au sein de ses membres. Exit donc Un Requiem allemand et la cantate Geistliches Lied du même Brahms, tels qu’annoncés ! In extremis, la veille du concert ! Nouveau programme : la Troisième Symphonie de Brahms, précédée de l’air Ah ! perfido de Beethoven et du Es ist genug extrait d’Elias de Mendelssohn (avec un nouveau texte de programme rédigé dans la nuit – bravo à la réactivité du service de la musique de Radio France !).
Le programme n’en est pas moins cohérent, qui constitue une montée chronologique de l’inspiration de la musique allemande qui mènera à la célèbre « symphonie de l’automne ». L’air de jeunesse de Beethoven revient à la soprano suédoise Camilla Tilling, déjà prévue précédemment, qui chante d’une voix ample et généreuse (malgré une colorature restreinte dans les passages ornementés de cet aria que l’on dirait d’un Mozart tardif). Tareq Nazmi, baryton allemand d’origine koweïtienne, s’acquitte avec ardeur, au-dessus de chaleureux violoncelles, de l’air de poignante humilité que Mendelssohn réserve au prophète Elias dans son oratorio. L’orchestre, délié et délicat, offre un soutien sans faillir dans les deux cas.
Puis vient, directement et sans entracte comme il se doit désormais, la symphonie attendue. Nul doute que l’œuvre appartient au répertoire régulier du Philharmonique, mais on est frappé d’emblée par l’investissement et l’élan que manifeste chacun des membres de l’orchestre. La direction de Gardiner n’est pas en reste, pointilleuse tout en étant fervente, pour un impact d’une couleur de musique de chambre infiniment détaillée, sans lourdeur, entre unité et nuances, pianos imperceptibles, beaux timbres (les bois), feu intérieur, flamme et fougue enlevée d’ensemble. Le Philhar en très grande forme ! On note cependant la disposition instrumentale conforme aux habitudes du XXe siècle (répartition des violons jusqu’aux contrebasses, et non pas des premiers violons jusqu’aux seconds violons), et peu conforme aux coutumes historicistes de Gardiner (peut-être pris par les délais). Mais la cohésion et l’entente avec Sir John Eliot (que l’on n’aurait pas espéré spécialement dans ce répertoire) éclatent manifestement. Symptomatique à cet égard : au moment des saluts (nourris), l'orchestre refuse de se lever pour applaudir vaillamment le chef ! Réaction à l’image de ce moment de rare intensité, en prélude à une vie musicale chamboulée par l'instauration du couvre-feu. A Radio France, l'horaire des concerts passe de 20h à 18h30. Prochain rendez-vous avec le Philharmonique, le 22 octobre, dans un programme Bartók-Berlioz réunissant Patricia Kopatchinskaja et Mikko Franck.(1)
Pierre-René Serna
(1) www.maisondelaradio.fr/evenement/concert-symphonique/symphonie-fantastique-mikko-franck
Paris, Auditorium de Radio France, 16 octobre 2020.
Photo © Sim Canetty Clarke
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