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Soirée des Ensembles en résidence du 41e Festival de la Roque-d’Anthéron – Les jeunes pousses du parc de Florans – Compte-rendu
D’abord synonyme de piano, le Festival de la Roque d’Anthéron réserve une belle place aussi à la musique de chambre ; elle aura régné de bout en bout de la journée du 15 août que concluait le concert des Ensembles en résidence.
Un peu avant ce rendez-vous rituel, le public a pu profiter d’un programme tout beethovénien confié au Trio Owon. Dans la touffeur de la fin d’après-midi, Olivier Charlier, Sung-Won Yang et Emmanuel Strosser prennent place sur la scène de plein air (avec léger appoint de sonorisation) de l’Espace Florans pour les 5e et 6e Trios. Dès l’attaque du fameux Opus 70/1 « Les Esprits » le ton est donné et traduit le plaisir de partager la musique, sur un mode aussi simple qu’amical. Elle jaillit avec une joyeuse évidence dans les mouvements vifs, tandis que le Largo, très prégnant, se déploie avec l’active participation des cigales. La conversation musicale des deux archets et du clavier ne charme pas moins dans le Trio en mi bémol majeur op. 70/2 où la vivacité du jeu, ici comme dans l'ouvrage précédent, n'affecte jamais le sens de la respiration. En bis, le Largo con espressione du 2e Trio conclut avec poésie un beau moment de complicité humaine et musicale.
Après les aînés du Trio Owon, la nouvelle génération est à l’honneur en soirée. Le volet Ensembles de résidence du Festival de la Roque d’Anthéron (placé sous la responsabilité de Claire Désert) permet à de jeunes formations de suivre des master-classes et d’effectuer une tournée dans le département des Bouches-du-Rhône.(1) Si les interprètes ont eu l’occasion de donner au cours de celle-ci de grands opus dans leur intégralité, la réunion de cinq ensembles (mais aussi de certains professeurs) en un concert impose de se limiter à des extraits, bien suffisants toutefois pour juger de la préparation et du niveau remarquable de ces jeunes pousses.
Issu du CNSMD de Paris, le Quatuor Magenta (Boris Blanco, Ida Derbesse, Darryl Bachmann & Fiona Robson) ouvre le ban, allié au pianiste Vincent Mussat (ancien élève de Denis Pascal au CNSMDP et Révélation Adami 2019) avec les 1er et 3e mouvements du Quintette op. 44 de Schumann. On décèle un brin de réserve de la part des archets dans l’attaque de l’Allegro brillante mais vite, grâce au remarquable sens de la pulsation du pianiste, l’exécution trouve son point d’équilibre et le Scherzo rayonne de la plus jubilatoire façon.
Sous les doigts de Claire Désert et Emmanuel Strosser, les nos 4 et 5 des Images d’Orient de Schumann apportent une bouffée d’onirisme avant l’entrée en scène du Trio Zarathoustra (photo, Thomas Briant, Eliott Leridon & Théotime Gillot), lui aussi formé au CNSMDP, pour le Largo et l’Allegretto final du Trio op. 67 de Chostakovitch.
Variété des couleurs, relief, énergie inépuisable, sens des caractères : quel choc ! Dans une entente parfaite, les trois jeunes instrumentistes plongent au cœur de la musique et emportent l’enthousiasme de l’auditoire. Si les muses continuent de veiller sur le Trio Zarathoustra comme elles l’ont fait jusqu’ici, nul doute qu’il se rangera vite parmi nos grandes formations chambristes.
Les Zarathoustra étudient actuellement au CRR de la rue de Madrid dans la classe de musique de chambre du Trio Wanderer. Olivier Charlier et Lise Berthaud font alliance avec ce dernier dans le Molto moderato du Quintette n° 1 de Fauré. Sur le clavier miroitant de Vincent Coq, la musique s’élève – c’est le mot ! – avec une poésie et une simplicité idéalement accordées à l’atmosphère nocturne. Magique ! Et quelle extraordinaire musique, bien trop rare au concert – en France ...
Place ensuite aux deux duos de piano de la promotion 2021 avec en premier lieu le Duo Reflet formé Kazune Mori et Natsu Aoki, deux artistes japonais qui étudient avec Emmanuel Strosser au CRR et avec Claire Désert au CNSMDP. Leurs Variations sur un thème de Haydn de Brahms sont un pur bonheur pour l’oreille. Parfaite écoute mutuelle, dialogue souriant ; les deux interprètes prennent le temps d’épanouir le lyrisme des variations lentes et savent animer les épisodes rapides sans aucune brusquerie. Tout s’enchaîne avec naturel et souplesse jusqu’à une radieuse passacaille finale qui préfère – et à raison ! – le travail sur la couleur et la texture au déballage de décibels.
Le répertoire change complètement avec le Duo Petrouchka (Melvil Chapoutot et Alexandre Chenorkian), issu du CNSMDP (chez Claire Désert et Ami Flammer) et du CRR (chez Eric Le Sage), mais les trois numéros retenus au sein des sept Visions de l’Amen de Messiaen traduisent une entente non moins poussée et une grande pertinence du propos. Dès l’Amen de l’Agonie de Jésus, la richesse du matériau sonore, le sens du timbre, la densité et la tension du jeu frappent l’oreille. Comme suspendu dans l’espace, l’Amen du Désir captive tout autant tandis qu’un grondement signale l’approche d’un orage imprévu ... Aléas du plein air : timidement d'abord des gouttes commencent à tomber au cours de l’Amen des Anges, des Saints, du Chant des Oiseaux et perturbent quelque peu l’attention du public, mais pas des deux interprètes protégés par la conque de l’Auditorium du Parc. S’ils terminent la pièce à l’abri, le public est quant à lui sous la douche et se précipite pour attraper les imperméables de secours qui lui sont prestement distribués. Quelques auditeurs lâchent la partie mais, les nuages perturbateurs ayant vite quittés le ciel, il reste encore une bonne partie de l’auditoire pour goûter au Fauré du Degas Piano Quartet, ensemble formé par quatre élèves du CNSMDP : Aiko Okamura, Paul Zientara, Stéphanie Huang et Keigo Mukawa au clavier.
Ceux qui ont fait la connaissance du pianiste japonais au Concours Long Thibaud en 2019 (où il avait obtenu le 2e Prix) – en écrivant son nom, on repense à son Incise de Boulez, foudroyante, en demi-finale ... – ou, plus récemment, au dernier Concours Reine Elisabeth ( 3e Prix), découvrent une autre facette de l’artiste, merveilleusement complice et nuancé dans l'Adagio et le final du Quatuor op. 15 de Fauré qu’il partage avec trois splendides archets. Le Degas Piano Quartet a été fondé l’an dernier : le style, la justesse de coloris et la vibrante poésie de leur interprétation disent le potentiel de cette toute jeune formation.
Alain Cochard
41e Festival de La Roque d’Anthéron, Espace Florans, Auditorium du Parc, 15 août 2021
Photo © Valentine Chauvin
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