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Suisse / Rinaldo de Haendel à l'Opéra de Lausanne - Le théâtre est dans la fosse - Compte-rendu


Il ne fallait pas avoir oublié ses lunettes. Entièrement éclairé à la bougie (à une ou deux tricheries près, difficile aujourd'hui encore de défier Barry Lyndon...), ce Rinaldo signé Louise Moaty nous a forcé plus d'une fois à froncer les sourcils. Plus statique que les troncs d'arbres qui composent la forêt de Roland tout au long du spectacle, la mise en scène de cette complice de Benjamin Lazar a le charme immanquable du clair-obscur, aidé par la beauté des costumes et décors tout en bois et or, quitte à y laisser ses yeux... La gestuelle baroque semble aussi précise qu'un décodage en direct pour sourds et muets même si la démarche, un rien archéologique, semble définitivement se substituer à l'ambition de faire vivre un plateau et traduire du sens pour les spectateurs d'aujourd'hui. Menues réserves pour une grande soirée côté musique, car le théâtre était, heureusement, avant tout dans la fosse.

Depuis son Faramondo déjà avec Max Emanuel Cencic à Lausanne, Diego Fasolis s'impose décidément comme l’un des meilleurs chefs haendéliens du moment, ne manquant jamais de brandir la partition au moment des saluts en hommage au maître du bel canto baroque. Il tient le Sassone en haute estime, et ça s'entend : des airs de bravoure aux plaintes lascives, des préludes orchestraux aux marches guerrières, la palette impressionnante du premier opéra londonien de Haendel est magnifiquement restituée, notamment grâce à des continuos variés et les graves insolents de l'Orchestre de chambre de Lausanne. La verve mélodique, insatiable, fait le reste, mais c'est sans doute dans l'usage de l'aria da capo, véritable bête noire des détracteurs de l'opéra baroque, que la réussite est la plus patente. La reprise de chaque air devient sous la baguette de Fasolis ce qu'elle n'aurait jamais dû cesser d'être : une sublimation des sentiments du personnage par des ornements motivés, et non pas une virtuosité imbécile de chanteurs en mal de reconnaissance.

À ce jeu, on ne peut plus sérieux, Max Emanuel Cencic tient le haut du pavé. Pour cette prise de rôle écrasante, il n'a pas trahi la moindre faiblesse technique, aussi à l'aise dans les airs d'amour que dans la soif belliqueuse, d'une projection insolente à réveiller les casernes pour le guerrier « Or la tromba », ou véritablement déchirant dans un « Cara sposa » d'anthologie, recomposant en infinies variations les spirales du chagrin amoureux.

A ses côtés, deux autres contre-ténors complètent ce tableau haut en tessiture. Xavier Sabata campe un Goffredo solide et étrangement viril, autant que faire se peut, tandis qu'à l'opposé Yuri Menenko livre un Eustazio débonnaire et suave, tout en joliesse et dévouement. La galerie parfaite des contre-ténors disponibles.

Face à eux, malgré une belle technique, Bénédicte Tauran a un peu plus de mal à imposer la puissance magique d'Armida descendant de son char (éclairé à la bougie, bien entendu) manquant de coffre et de folie, tout comme la mise en scène, pour traduire les multiples métamorphoses du rôle. Lenneke Ruiten est beaucoup plus convaincante en Almirena, raflant la mise côté applaudissements pour le tube attendu de la soirée, un « Lascia ch'io pianga » de toute beauté.

Ne nous reste plus qu'à patienter jusqu'à la saison prochaine pour l'autre grand opéra magique de Haendel, Alcina, à l'affiche de l'Opéra de Lausanne, cette fois-ci dirigé par Ottavio Dantone. Il aura fort à faire pour égaler l'art des métamorphoses de Diego Fasolis.

Luc Hernandez

Haendel : Rinaldo – Lausanne, Opéra (Salle Métropole), 27 mai 2011

www.opera-lausanne.ch/fr

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Photo : DR

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