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Sylvie Guillem / 6000 miles away - Enjeux hors normes - Compte-rendu
Tout en elle frise l’extrême, voire l’exaspérant : un corps qui s’obstine à ne pas changer, bien qu’elle ait désormais 47 ans, un insatiable appétit de nouveauté, une insolence de choix et d’expression que lui permet sa forme de génie, même si elle se trompe souvent. Sylvie Guillem est une femme libre, assurément, de la liberté qu’autorise la discipline, avec des partis pris qui ne convainquent pas toujours. Peu importe, elle est icône, bien plus que star, et un public inhabituel, ni contemporain ni classique, et essentiellement juvénile, salue ses apparitions avec passion. Bref, elle est comme Maria Callas, qui n’avait qu’à lever un petit doigt pour suspendre dix mille personnes, ou Jorge Donn, nouveau Dionysos : Guillem, elle, déploie un orteil, et une page s’écrit.
Ses choix, on les a déplorés souvent, et notamment dans son association avec le médiocre chorégraphe anglais Russell Maliphant. Expression libre, donc sans grammaire: on sait vers quel vide cela peut parfois tendre. Mais dans ce spectacle présenté sous le titre 6000 miles away (un regard vers le tsunami du Japon), c’est heureusement sur le ring des grands qu’elle offre son apparition, vêtue de frusques improbables, surtout quand c’est Matts Ek qui l’équipe de grosses galloches, à son habitude. Avec Rearray, de Forsythe, conçu pour elle, on assiste, à dire vrai, à une assez ennuyeuse performance intime, jouée en partenariat avec Nicolas le Riche ou Massimo Murru, où les deux corps s’essaient à mille gestes décalés et torturés. La vilaine musique, il faut l’avouer, de David Morrow, n’aide guère le charme à opérer. Pour Bye, de Matts Ek, c’est une émouvante descente en soi qui s’opère sur l’Arietta de la Sonate Op.111 de Beethoven. Ces deux pièces ont pour avantage de déployer Guillem dans toute son anormalité: dame d’acier bien plus que liane, tant la fixité de l’axe, la force des tendons et des muscles toujours plus effilés constituent une trame inouïe sur laquelle ondulent ses bras et jambes, comme des feuillages sur un arbre. De sa personnalité dévorante, elle vampirise les gestes, les situations mises en place par les chorégraphes
Autre moment délicieux du spectacle, le duo vitaminé et étincelant formé par la française Aurélie Cayla et le slovaque Lukas Timulak, que la ballerine a invités pour une pièce ultra raffinée de Jiri Kylian, 27,52. Preuve qu’elle ne dédaigne pas de faire partager son aventure. Et puisqu’elle a décidé d’utiliser dorénavant ses apparitions comme un manifeste pour les causes qu’elle se choisit, en l’occurrence Sea Shepherd, et que sa danse aide à faire connaître, saluons en Sylvie Guillem la nouvelle pasionaria de la cause des thons et des dauphins, exterminés par la bassesse et la bêtise humaine.
Jacqueline Thuilleux
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 22 mars 2012
Le duo Memory, interprété par Mats Ek et son épouse Ana Laguna - inoubliable créatrice de la Giselle du chorégraphe -, n’est pas ici chroniqué, car il ne figurait pas à la soirée du 22 mars. De l’avis général, il fut un moment exceptionnel lors des autres représentations, tant est colossale la puissance émotionnelle de ces deux artistes majeurs.
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Photo : Lesley Leslie-Spinks
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