Journal
Tancredi de Rossini au Théâtre des Champs-Elysées – Entre intériorité et feu – Compte-rendu
Le ton du spectacle est donné dès l’ouverture : une élégante jeune femme rédige fébrilement une lettre qu’elle confie aussitôt à sa dame de compagnie. De cette missive qui n’arrivera jamais au bon destinataire, dans laquelle Amenaide implore Tancredi, qu’elle aime secrètement, de venir la retrouver et de libérer la ville occupée, va découler un drame inexorable, que Jacques Osinski et son équipe ont choisi d’actualiser. Les drapés, casques, boucliers et autres épées ont été remplacés par de sobres costumes trois pièces, des robes du soir et quelques treillis du XXème siècle, et l’action située dans un palais/ambassade (aux allures de Société des Nations vue par Albert Cohen dans Belle du seigneur), lors d’un congrès extraordinaire.
A mesure que l’intrigue se resserre et que les personnages sont pris en étau, l'espace se réduit passant d’une vaste salle de conférences à une antichambre, puis d’un bureau feutré à une vulgaire cellule. Les décors de Christophe Ouvrard rythment ainsi l’évolution du drame pour mieux pénétrer l’intimité des protagonistes aux prises avec leurs devoirs et leurs sentiments. En insufflant un dose de modernité et de théâtre à une œuvre qui peut ça où là en manquer, le metteur en scène réussit un travail honnête à défaut d’être révolutionnaire. Argirio et Amenaide s’adressent au 1er acte au public et montent à la tribune, discours en main, comme chez Marthaler (Le Nozze di Figaro), Argirio toujours, condamne sa fille à mort dans son bureau comme chez Warlikowski (L’affaire Makropoulos), tandis que celle-ci déchue de ses droits se retrouve en cellule comme nous pourrions le voir chez Tcherniakov, seule et dépouillée, avant d’être sauvée par Tancredi, « Guerriero ignoto », vêtu d’un sombre costume militaire ; de bonnes idées visuellement efficaces, se succèdent ainsi jusqu’à la scène finale où l’on retrouve le héros à terre, alors que le fond de scène présente enfin une vue dégagée, sereine et ensoleillée …
Pour se débuts dans le rôle-titre, Marie-Nicole Lemieux aurait dû remporter un triomphe : elle n’y a obtenu qu’un succès d’estime. A trop vouloir contrôler, à ne privilégier que l’intériorité de ce personnage torturé, mais toujours combatif, attendu comme un sauveur, elle prive l’auditoire du panache et de la grandeur qui lui sont traditionnellement associés. En freinant ses ardeurs, en limitant son vocabulaire technique à quelques vocalises et à deux grandes interpolation dans l’aigu, le public ne retient que sa timidité et sa retenue, là où le chant orné des grandes mezzos d’autrefois, Horne en tête, jusqu’à Podles, savaient exalter la puissance de cette partition, par une virtuosité à couper le souffle qui semblait avoir été inventée pour elles.
Face à la cantatrice canadienne, la renversante Patrizia Ciofi porte son héroïne à l’incandescence. Vouée à l’obéissance malgré son enviable statut, son Amenaide richement vêtue, possède une énergie folle et une détermination que rien ne peut arrêter. Une fois passé le périlleux air d’entrée « Come dolce all’alma mia » qui l’a saisie un peu à froid, la soprano révèle toutes les facettes de cette amoureuse à l’âme poétique, accusée à tort, condamnée à mort, mais volontaire. Son chant d’une rare intensité, se pare de mille couleurs et de multiples inflexions pour épouser les moindres évolutions de l’état d’esprit de son personnage. Admirable dans les passages virtuoses « Ah d’amore in tal momento » au second acte, où ses prises de risques donnent le vertige, et dans les duos avec Tancredi où Marie-Nicole Lemieux, en confiance, répond à ses appels comme en apesanteur, l’art de Ciofi culmine dans une scène de la prison, « No che il morire non è », puis « Giusto dio che umile adoro », où l’émotion serre le cœur et durant laquelle le public retient son souffle.
Ténor rossinien sans grande souplesse et à l’aigu atteint avec brutalité, Antonino Siragusa ne peut faire oublier les Dalmacio Gonzales, Ernesto Palacio et Chris Merritt, interprètes plus soignés d’Argirio. En comprimari, Christian Helmer est un honorable Orbazzano, Josè Maria Lo Monaco une fruste Isaura et Sarah Tynan un Roggiero insipide.
En fosse, Enrique Mazzola propose une lecture belcantiste de premier ordre, dans la continuité du baroque avec un Philharmonique de Radio France délicat, transparent et d’une belle expressivité. Très à l’écoute des voix, le chef prend parfois son temps – ou la pause diront les méchantes langues ! – pour mettre en exergue toute la richesse de cet opera seria avant-gardiste, composé par un prodige de 21 ans : on a rarement entendu plus séduisante et langoureuse entrée de Tancredi au 1er acte, et finale tragique plus épuré, plus poignant aussi.
François Lesueur
Rossini : Tancredi – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 19 mai, prochaines représentations les 21, 23, 25 et 27 mai 2014
www.concertclassic.com/concert/tancredi-de-rossini
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