Journal
Tannhäuser à l’Opéra de Monte-Carlo – Wagner en français – Compte-rendu
Tannhäuser en français ! Assisterions-nous à un retour aux années cinquante, quand Wagner était chanté en France dans la langue de Molière, dans des traductions ampoulées et souvent approximatives ? Non, rassurez-vous, le projet est tout autre, cousu main par l’Opéra de Monte-Carlo pour le ténor argentin José Cura (photo). Cette version fut conçue par Wagner lui-même pour Paris en 1861, Charles Nuitter l'aidant à adapter le livret. Trop en avance sur son temps avec un ballet placé en début de représentation – et non au second comme il était de bon ton à l’époque – et une musique sensuelle autant que provocante, l’ouvrage fit un four et Wagner dut attendre quelques années avant de goûter au succès.
Après avoir interprété Stiffelio en 2013, José Cura a fait savoir qu’il reviendrait avec plaisir salle Garnier dans un rôle inédit : ayant abandonné l’idée d’aborder Parsifal, faute de temps pour se familiariser avec la langue allemande, Cura s'est mis d’accord avec Jean-Louis Grinsa pour remonter la version française de Tannhäuser.
Passée la surprise des premières répliques, née d’une langue inattendue sur une musique bien connue, il faut reconnaître que l’entreprise n’est à aucun moment gênante. Travaillé pour coller au flux musical, le texte, à la différence de tant d’autres, se révèle à la fois intelligible et de qualité, jusqu’à celui réservé aux chœurs, souvent contraints dans l’opéra français à aligner des platitudes.
Nathalie Stuzmann © Simon Fowler
Dans la fosse, la contralto – et désormais chef – Nathalie Stutzmann prend les choses à cœur, dirigeant la partition avec une implacable fougue, un choix de tempi généralement vifs, des contrastes accusés et des couleurs fauves, le tout solidement adossé à l’arche musicale, jamais perdue de vue. Rigoureuse et ardente, sa direction a du souffle, du lyrisme mais également de la puissance et de la sensualité ; le Philharmonique de Monte-Carlo traduisant aussi fidèlement les débordements psychédéliques du Venusberg que le hiératisme de la Wartburg ou le dépouillement du retour de Rome.
© Alain Hanel
Un brin trop sage, par manque d'audace et de partis pris plus tranchés, la mise en scène de Jean-Louis Grinda, malgré ses nombreux changements de climats, reste illustrative et la direction d’acteur, limitée, accuse le statisme de certaines scènes au lieu de le transcender. Et que dire de cette triste Bacchanale, réduite à une peau de chagrin pour quatre « Vénusgirls » rousses (comme la maîtresse des lieux !) s’ébrouant chichement sur un tapis de fleurs multicolores, tandis que défilent sur un cyclorama-coupole des images vidéo réalisées par Gabriel Grinda. Censées traduire l’effet de l’opium sur le cerveau de Tannhäuser, elles paraissent un peu datées.
Le décor de chapelle médiévale animée au moment de l’évocation de Vénus au second acte, a du mal à passer, le scénographe Laurent Castaingt se montrant nettement plus inspiré pour éclairer le troisième avec ses arbres givrés descendus des cintres, son sol enneigé et cette cage étoilée, sous laquelle Wolfram semble être fait prisonnier pendant sa Romance, qui produisent de très beaux effets.
© Alain Hanel
Il n’est pas certain que Tannhäuser devienne le nouveau rôle fétiche de José Cura, mais on sent que cette incursion dans le répertoire wagnérien lui importait. Son français n’est pas toujours compréhensible, mais la langue comme pour Don José et Samson ne lui est pas hostile. La voix après vingt-cinq ans de carrière est toujours là, large, suffisamment puissante, expressive et résistante, tandis que les aigus sonnent encore vigoureusement. Son tempérament instinctif et impulsif convient à l’anti-héros Tannhäuser, le récit de Rome ne traduisant aucun effort apparent, chanté sans forcer, d’une manière très personnelle, parfois à peine appuyée en fin de phrase – une technique de chant qui n’a pas eu l’heur de plaire à l’ensemble du public !
Annemarie Kremer (Elisabeth) © Alain Hanel
Chez les dames, Aude Extrémo, Vénus au physique avantageux est rapidement dépassée par le rôle : sa voix plantureuse manque de contrôle dans l’émission, ce qui la fatigue et l’oblige à forcer des aigus qui s’éloignent au dernier acte de la justesse. L’Elisabeth d’Annemarie Kremer fait grande impression au second acte, grâce à un instrument ferme sur tout le registre et à un medium charnu, l'interprète sachant se montrer vibrante et touchante, malgré d’affreux costumes. L’air du III n’atteint malheureusement pas le niveau attendu, expédié plus que vécu de l'intérieur. Sans faute en revanche pour Jean-François Lapointe, Wolfram aux allures un peu gauches par excès d’élégance et de délicatesse, mais au français limpide et à la ligne de chant parfaite. Hermann aux graves somptueux de Steven Humes, Biterolf un peu raide de Roger Joakim, chœur préparé avec soin par Stefano Visconti. Une résurrection qui méritait la découverte, en dépit des réserves que la production appelle.
François Lesueur
Wagner : Tannhäuser (version française de 1861) – Monte-Carlo, Salle Garnier, 25 février, dernière représentation le 28 février 2017 et retransmission en direct (à 20h) sur culturebox.francetvinfo.fr/opera-classique/opera/nathalie-stutzmann-dirige-tannhauser-de-richard-wagner-252803
Photo © Alain Hanel
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