Sorti à la fin de l’année passée chez Scala Music, le disque Schumann-Ravel de Tom Carré aurait dû être accompagné d’un récital à la Scala Paris en novembre. Souffrant, le jeune pianiste avait hélas dû annuler ; il était en revanche bien là le 5 février dernier à la Scala Provence d'Avignon, pour un récital reprenant à l’identique le programme de son enregistrement : Humoresque op. 20 de Schumann et Miroirs de Ravel. Le disque est parfois menteur mais, dans le cas présent, il s’avère absolument fidèle à ce que ce jeune artiste, né en 1998 et formé au CNSMD de Paris par Denis Pascal, transmet à son auditoire en concert.
 

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C’est en 2021, au concours « Les étoiles du piano » de Roubaix que Rodolphe Bruneau-Boulmier, responsable du label Scala Music, a eu le coup de foudre pour la personnalité de Tom Carré et que, via le Prix Scala, il lui a permis de réaliser son tout premier enregistrement en avril 2022. Dans des conditions assez particulières d’ailleurs puisque la Scala Provence (où se trouve désormais le studio du label) n’étant pas encore inaugurée à cette époque, il a été effectué de nuit dans la salle parisienne.

« Noctuelles » : emprunté au premier numéro des Miroirs, le titre donné au programme installe d’emblée une atmosphère nocturne. Dans la grande – et bien sonnante –  salle de la Scala Provence (1), le public est installé sur scène, autour du piano ; l’éclairage bleuté s’avère on ne peut plus propice à l’ « exaltation du rêve » dont parle Schumann à propos de sa Grande Humoreske. L’ouvrage est rare en récital : en cinq parties, son organisation peut il est vrai désarçonner tant l’interprète que le public. Mais quand le pianiste parvient à faire siens les contrastes et la mobilité de la partition, la magie des sons opère.
Dès le Einfach initial, Tom Carré (bien aidé par le somptueux CFX Yamaha qu'il joue) ouvre en grand les portes du rêve. Exaltation de celui-ci certes, mais l’interprète se garde toujours de la manière brouillonne, sinon débraillée, qui passe parfois pour du « schumanisme » inspiré. D’un bout à l’autre on est séduit par la clarté de la polyphonie, la plénitude du toucher, la présence et l’expressivité des voix médianes et, plus que tout, la façon de saisir l’humeur sans jamais rien outrer. L’interprète fait totalement sien le rêve schumanien et vous embarque, sans le moindre effet.
 

On le suit avec un égal bonheur chez Ravel pour des Miroirs aussi surprenants que convaincants. Miroirs « de la nuit » ... L’envolement des Noctuelles ou la plainte des Oiseaux tristes dans la touffeur du soir vont de soi si l'on peut dire, avec quel art !, mais la Barque sur l’océan, que l’on a l’habitude d’entendre vibrante de lumière, se mue en une marine nocturne, luisante et noire, proprement saisissante. L’Alborada prend des allures de gitanerie dans la nuit andalouse ; quant à la Vallée des cloches, elle clôt le recueil avec une troublante prégnance poétique. Il y a longtemps que l’on n’avait entendu un Ravel aussi singulier et assumé, à ce point foisonnant d’arrière-plans. La musique du Français est particulièrment chère au cœur de Tom Carré ; que l'on aimerait l'entendre dans Gaspard, Le Tombeau, les Valses nobles ...
En bis, une mazurka de Chopin, racée à souhait, vient renforcer l’envie de vite retrouver l'interprète en récital. D'ici là, précipitez-vous sur son remarquable enregistrement ! (2)
 
Quant à la saison musicale de la Scala Provence, elle se poursuit avec Renaud Capuçon et Guillaume Bellom (12 mars), Noëmi Waysfeld et le Quatuor Dutilleux (24 mars), le Sirba Octet (1er avril), Anne Queffélec (16 avril), un littérature et musique avec Jacques Weber (25 mai) et les Sœurs Labèque (28 mai)
 
Alain Cochard

(1)       Installée dans l’ancien cinéma de la rue Pourquery Boisserin, la Scala Provence comporte trois salles, de 600, 200 et 100 places
(2)       1 CD Scala Music - SMU005

 Avignon, Scala Provence, 5 février 2022 / lascala-provence.fr/
 
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