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Toulouse - Compte-rendu : La course à l’abîme. Daniel Klajner précipite Don Giovanni en enfer
Dés l’ouverture le tempo est donné : vertigineux. Quitte à battre à deux temps, Klajner entraîne tout le premier Acte dans un tourbillon où même les chanteurs peinent à reprendre leurs respirations. Cette tension inextinguible, si elle refuse l’alternance en noir et blanc du dramatique et du giocoso, dont Mozart a fait l’un des ressorts de la dramaturgie de son opéra, trouve pourtant les chemins secrets d’une partition que l’on a toujours dirigée trop lentement.
Il aura fallu attendre Arnold Östmann et la production du Théâtre de Drotningholm dans les années quatre-vingt pour retrouver les véritables tempos et les articulations dynamiques d’un opéra qu’une métaphysique envahissante – excusée par la seule figure du Commandeur - avait fini par sacraliser et ralentir au delà du concevable. Daniel Harding s’est souvenu de cette leçon pour son Don Giovanni aixois, qui décoiffa spectateurs et journalistes, Daniel Klajner pousse la logique encore plus loin, mais a-t-il atteint le point de non retour comme une bonne part de la critique semble le souligner ? A notre sens non. Toute la première scène, emportée et violente est un modèle de vrai dramaturgie, musicale autant que théâtrale. On entend bien que les chanteurs sont parfois bousculés en leurs fins de phrases, mais le rebond qui est produit, la formidable énergie que Klajner exige d’eux coupe plus le souffle au public qu’à Don Giovanni ou à Leporello.
On espérait beaucoup de Ludovic Tézier. Etrenner un rôle pareil devant le difficile public du Capitole était un vrai challenge. Tézier ne nous fait pas un Don Juan selon Sade, ni le coup du philosophe libertin. Il compose à l’instinct un séducteur qui ne renonce pas à la veulerie, un coureur du commun, le portrait est éclatant de vérité et de simplicité, une leçon, et la voix, parfaitement lisible, colle à l’ambitus et à la couleur du rôle, de son baryton médian riche en harmoniques. Un bémol : comme Nicolas Joël a confié tous les autres emplois à des chanteurs dont le format vocal correspondrait mieux à Puccini qu’à Mozart, en simple terme de puissance, Tézier semble en retrait. Mais il ne serait être pris en défaut, le volume du chant mozartien est exactement celui qu’il possède. Son Leporello, l’assez irrésistible Richard Bernstein, possède un baryton-basse de stentor, et décline habilement toutes les nuances d’un rôle bouffe aux subtilités dramatiques inépuisables.
Si Guiseppe Filianoti, remplaçant déjà annoncé d’Alagna pour la Rondine qui sera donnée ce printemps au Châtelet, a la voix d’un Calaf et ne s’aventure jamais en dessous du mezzo-forte, la ligne de chant est somptueuse, la technique trempée, et l’ardeur mâle de sa composition sauve Don Ottavio des utilités dramatiques pour en faire un vrai personnage, rival véritable de Don Juan bien plus que Masetto, finement joué par un Nicolas Testé qui n’oublie jamais d’exceller. Sa Zerline est la plus belle, la plus fruitée que l’on ait entendue depuis Berganza, Karine Deshayes a son avenir devant elle, et ses grands moyens vocaux, ses jolis dons d’actrice lui ouvriront rapidement les portes du répertoire italien. Pour Elvire, Roxana Briban pliait son grand instrument et obtenait de vrais pianissimos timbrés dont Alexandrina Pendatchenska se révélait incapable. Oui, mais quelle Anna ! Sublime apparition blonde, comédienne consommée dont le soprano dardé conserve intact son timbre radieux. Son « Mi tradi », tenté à la limite de l’évanouissement, donnait le vertige même si la voix craquait. Une fatigue passagère qui pourtant ne retirait rien à la noblesse de son incarnation.
On n’aura que des éloges pour le Commandeur de Gudjon Oskarsson, les décors tout en légèreté et en sfumato d’Emmanuel Peduzzi, dont le réalisme de la futaie d’arbres centenaires restera longtemps dans les mémoires, le tout animé par les éclairages subtils de Jean Kalman. La mise en scène convenue de Brigitte Jacques-Wajeman laissait les acteurs à eux-mêmes,d’où tout un lexique de pauses convenus et de gestes de façade. Elle a survolé son Don Giovanni, dommage, mais la beauté des images masquait cette carence d’imagination.
Jean-Charles Hoffelé.
Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, Théâtre du Capitole de Toulouse, le 1er février 2005, puis les 4, 8, 11, 6, et 13 février.
Photo: DR
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