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Tristan et Isolde à l’Opéra Royal de Wallonie/Liège – Éclosion d'une soprano wagnérienne – Compte rendu
Richard Wagner, accompagné de Rossini, trône au plafond du superbe opéra belge du XIXᵉ siècle, peint par Émile Berchmans. Le sorcier de Bayreuth aurait-il été ravi d’entendre ici résonner la roborative partition de Tristan ? Vu la fougue déchaînée de l’orchestre sous la direction de Giampaolo Bisanti, dont les pupitres ne maîtrisent pas toujours les attaques – notamment du côté des cuivres, souvent à la peine –, on peut en être convaincu.
Les chanteurs, acclamés après quatre heures de transe, d’extase et de paroxysme, sont les grands triomphateurs de la soirée. Les seconds rôles se distinguent, notamment Zwakele Tshabalala en Jeune Marin et Bernard Aty Monga Ngoy en Timonier. Birger Radde, dans le rôle de Kurwenal, est investi, malgré un timbre que certains pourraient trouver un peu terne. À la manière d’un Otto Wesendonck dont il aurait emprunté la prestance bourgeoise et la bienveillance polie, la belle basse d’Evgeny Stavinsky impressionne en Roi Marke. Violeta Urmana impose sa présence autoritaire avec une Brangäne tout d’une pièce.
© J. Berger - ORW
Le rôle de Tristan, confié à Michael Weinius, échappe en partie à son interprète. Son timbre très clair et lumineux convient mieux à Siegfried ou Lohengrin. Aucune souffrance, aucune faille, aucune intériorité n’habite son personnage. Toutes les notes sont là, mais l’émotion reste à la porte. En revanche, il est réjouissant de voir éclore une soprano wagnérienne de premier plan avec la prise de rôle de Lianna Haroutounian (photo) en Isolde. Après quelques instants de trac, sa voix s’épanouit, puissante et chaude, dotée d’un beau vibrato, jamais excessif. Ses aigus, dans les imprécations du premier acte, annoncent une prestation pleine de vaillance. Au fil de la soirée, sa fièvre amoureuse s’intensifie. Elle domine largement le deuxième acte, avant de culminer dans une ample Mort d’Isolde.
© J. Berger - ORW
La scène liégeoise n’est pas particulièrement connue pour un avant-gardisme susceptible de vider les salles. On y a donc fait le choix d’un metteur en scène cultivé, dont la principale ambition est de plaire. Jean-Claude Berutti ouvre Tristan là où le héros de Mort à Venise achève son existence : sur une plage abandonnée, assis dans un fauteuil roulant, coiffé d’un chapeau blanc, avec une immense plaie à l’âme. Les belles projections vidéo, conçues par Rudy Sabounghi et réalisées par Julien Soulier, montrent au premier acte toutes les variations de l’océan, du grain qui pointe à la lumière qui vient, tandis que des voiles de bateau rythment le passage de l’intime à l’espace public.
© J. Berger - ORW
On se retrouve ici dans les années 1850, époque de la genèse de Tristan und Isolde. Les deux protagonistes portent les costumes bourgeois du temps de Mathilde Wesendonck. Mais cette atmosphère romantique ne dure pas : tout est vu à travers un Tristan à l’asile, enfermé, malade, en proie à ses démons intérieurs. Deux héros cohabitent sur scène : le chanteur et son double muet. Ce fil rouge, que Jean-Claude Berutti ne cesse de tirer, finit pourtant par se rompre au troisième acte, où l’entourage de médecins et d’aliénistes tombe à plat. Isolde n’est plus qu’une infirmière bienveillante s’occupant de son Tristan malade, et l’on se dit que tant d’intéressantes intentions n’ont pas été menées à leur terme.
Vincent Borel
> Les prochains concerts "Richard Wagner" <
Wagner : Tristan et Isolde – Liège, Opéra Royal de Wallonie, 28 janvier ; prochaines représentations les 2, 5 & 8 février 2025 // www.operaliege.be/evenement/tristan-und-isolde-2025/
Photo © J. Berger - ORW
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