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Tugan Sokhiev dirige Boris Godounov à Pleyel – Le drame à nu - Compte rendu
Lorsque viendra le moment du bilan de la saison lyrique parisienne en cours, il y a de fortes chances pour que l’un de ses plus beaux moments se situe à Pleyel avec le Boris Godounov que Tugan Sokhiev vient d’offrir à la tête de son Orchestre national du Capitole de Toulouse. Une version de concert, mais quelle ! Le jeune chef - et directeur musical récemment nommé du Bolchoï - caressait depuis un bon moment l’idée de donner la version originale (1869) de l’ouvrage de Moussorgski, avec ses musiciens toulousains et la basse italienne Ferruccio Furlanetto – avec lequel il a déjà dirigé Boris en version scénique à Vienne Tout était soumis à la disponibilité d’un artiste très demandé. Sokhiev s’est montré patient, avec raison !
Mais avant de louer les mérites du rôle-titre, il faut d’abord saluer l’investissement total du chef dans une version originale dont il saisit la singularité avec une rare intelligence. Nulle gaucherie dans le travail de Moussorgki comme on l’a dit souvent, mais une adéquation saisissante entre l’essence du drame, la langue russe et la musique que le jeune maestro, en très grand chef lyrique qu’il est, souligne de superbe façon. Pas un geste pour la galerie : sans baguette, attentif au moindre détail, il sculpte le son et exploite le relief et les âpretés de l’orchestration - sûr qu’il est de toujours pouvoir compter sur une phalange qui a accompli des progrès saisissants depuis son arrivée à Toulouse - et la concision d’une version en quatre partie et sept tableaux. Ecrin de rêve qui permet à une distribution de haut niveau de donner le meilleur d’elle-même.
Boris inoubliable que celui incarné par Ferruccio Furlanetto : cette pureté de ligne, ce rejet de l’emphase dévoilent le drame intérieur du personnage principal avec une bouleversante acuité. Nudité habitée, absence radicale de théâtralité : la mort du Tsar selon l’artiste italien n’est pas près de quitter la mémoire des auditeurs présents.
A côté du très beau Pimène d’Ain Anger, Marian Talaba signe un convaincant Grigori, tandis qu’Alexander Teliga donne à Varlaam toute la saveur requise. On voudrait un Chouïski plus cauteleux que celui offert par John Graham-Hall, mais on salue le Tchelkalov de Garry Magee ; la Xénia d’Anastasia Kalagina et le Fiodor de Svetlana Lifar. Catalyseur du drame, L’Innocent trouve en Stanislav Mostovoi un interprète vocalement parfait et d’une troublante étrangeté. Les modestes rôles de Nikitch et Mituyukha suffisent à la basse Pavel Chervinsky pour se faire remarquer
Boris Godounov n’existe pas sans le chœur. Avec l’un des meilleurs du monde, Orfeón Donastiarra - exceptionnellement bien préparé par son chef José Antonio Sainz Alfaro -, Tugan Sokhiev a disposé du meilleur allié durant une soirée longuement acclamée par le public.
A propos de Tugan Sokhiev : jusqu’à quand l’Opéra national de Paris considèrera-t-il qu’il peut continuer d’ignorer l’un des plus talentueux chefs lyriques de la nouvelle génération ?
Alain Cochard
Moussorgski : Boris Godounov (version originale de 1869) – Paris, Salle Pleyel, 5 février 2014.
Photo © DR
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