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Un archet en Alsace - Une interview d’Isabelle Faust
L’Orchestre Philharmonique de Strasbourg a offert cette saison une résidence à Isabelle Faust, qui permettra aux mélomanes alsaciens de la découvrir sous toutes ses facettes, en concerto, seule avec son violon monté en cordes de boyaux pour les Sonates et Partitas de Bach, ou en trio avec ses amis Jean-Guihem Queyras et Alexander Melnikov. L’occasion était trop belle pour nous de reprendre langue avec notre violoniste favorite, qui vient de faire paraître sa très attendue version des Concertos de Béla Bartók(1).
Avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et pour le Concerto de Beethoven, vous retrouvez Marko Letonja, un chef que vous appréciez particulièrement.
Isabelle Faust : Je devais jouer le Concerto de Jolivet à Munich, et le chef prévu est tombé malade. C’est Marko Letonja qui l’a remplacé. Il découvrait l’œuvre, et vous savez combien le Concerto de Jolivet est difficile pour le soliste mais aussi, surtout, pour l’orchestre. Il a dirigé cela avec une telle intelligence de la partition que j’en ai été confondue, depuis je lui voue une grande admiration, ce qui ne nous empêche pas de travailler dans un contexte amical. Nous avons repris le Jolivet avec son orchestre de Bâle, puis nous avons joué ensemble avec son autre orchestre qui se trouve aux antipodes, en Tasmanie. Dès qu’il a été nommé directeur musical du Philharmonique de Strasbourg il m’a invitée, avec cette saison une mission particulière puisque j’y suis en résidence ; l’occasion de me produire plusieurs fois, en concerto pour le Beethoven, puis pour le Premier de Bartok, le Concerto pour violon de Janácek, tiré de fragments de son dernier opéra De la maison des morts - j’adore chaque note de Janácek même si dans cette œuvre elles sont en quelque sorte apocryphes. Ensuite je me mesurerai à nouveau à l’intégrale des Sonates et Partitas pour violon seul de Bach, et je retrouverai aussi Jean-Guihen Queyras et Alexander Melnikov pour un concert en trio.
Comment abordez-vous aujourd’hui le Concerto de Beethoven, une œuvre que vous avez déjà enregistrée deux fois ?
I. F. : C’est toujours délicat de voir si on a évolué dans une œuvre, car on est toujours en plein travail, on n’a jamais le recul nécessaire. J’imagine bien sûr que j’ai évolué, probablement à mon insu d’ailleurs, en tous cas mes partenaires m’ont apporté leurs idées, leurs éclairages ; il est évident que ma rencontre avec Claudio Abbado dans le Concerto de Beethoven a apporté quelque chose à mon interprétation. Mais cela n’est pas forcément conscient. Il est vrai que depuis quelques années mon intérêt pour l’interprétation historiquement informée, qui décidément pique ma curiosité, et mes collaboration avec des chefs versés dans cette pratique comme Frans Brüggen, Giovanni Antonini, Roger Norrington et leur orchestres spécifiques m’ont fatalement amenée à d’autres points de vue sur le répertoire classique et la période du premier romantisme. Mais de toute façon, l’expérience à chaque fois unique du concert vous amène à jouer non pas d’une manière radicalement différente, mais dans une autre atmosphère qui produit fatalement des changements.
Il me semble que vous allez bientôt interpréter le Concerto de Britten avec l’Orchestre Symphonique de Birmingham sous la direction d’Andris Nelsons. Est-ce la première fois que vous vous produisez avec ce chef ?
I. F. : Oui, ce sera une grande première pour moi de jouer avec Andris Nelsons. Avec cet orchestre, dans le contexte de l’année Britten, je devais interpréter cette œuvre que j’aime tout particulièrement. Elle n’est pas reconnue à sa juste valeur, en dehors d’Angleterre très peu d’institutions symphoniques l’ont à leur répertoire, et en fait encore moins de chefs la dirigent. J’ai eu la chance de la jouer à Zurich avec l’Orchestre de la Tonhalle et Roger Norrington, pour qui la musique de Britten est comme le lait maternel. C’est une partition magnifique, sombre, tendue, on y sent bien l’imminence du second conflit mondial, Britten l’a composée en 1939, alors que la Guerre d’Espagne faisait rage. Elle est très périlleuse pour le violoniste, non seulement techniquement, mais aussi pour le sens, car à coté des éléments tragiques, il y a une fausse écriture presque charmeuse. Il est difficile de ne pas céder à cette illusion. J’y vois au contraire comme une distance ironique, quelque chose de plutôt grinçant, à prendre au second degré. Ce n’est pas une œuvre aisée à capter d’emblée, Britten y mélange plusieurs styles, un peu de Chostakovitch, un peu de Stravinsky,une pincée du Second de Bartók, sans que jamais cela produise une partition sous influence. Et l’on peut passer à côté de son message tragique si l’on n’a pas les clefs pour l’interpréter correctement. J’ai choisi la version révisée. Mais à Birmingham et avec Andris Nelsons je ne m’inquiète absolument pas.
Vous allez également jouer pour la première fois avec Pierre Boulez dans une œuvre qu’il affectionne particulièrement, le Concerto à la Mémoire d’un Ange d’Alban Berg. Comment vous préparez vous à votre premier concert avec Pierre Boulez ?
I. F. : J’étudie la partition (rires). J’espère surtout que sa santé lui permettra d’assurer ce concert. Pour moi ce sera une nouvelle grande expérience dans cette œuvre que j’ai jouée et enregistrée avec Claudio Abbado.
Vous venez de faire paraître chez Harmonia Mundi votre enregistrement des deux Concertos de Bartók (1). Sous quel angle avez-vous abordé ces œuvres que vous jouez je crois depuis un certain temps ?
I. F. : En fait j’ai beaucoup joué le Second Concerto. En me préparant pour le disque, et plus encore durant les séances d’enregistrement, j’ai été séduite par le Premier Concerto, par sa générosité mélodique, sa simplicité, sa pudeur. Il y a dans le Premier Concerto une fraîcheur d’élan qu’on ne retrouve pas dans le Second, dont la gestation fut complexe. Vous savez que Bartók entendait tout d’abord faire un concerto en un seul mouvement, constitué essentiellement de variations. Mais Szekely, son commanditaire, voulait un grand concerto en trois parties, il a même fallu que Bartók lui compose en plus des cadences, qu’il change les dernières mesures de l’œuvre. Dans le Second Concerto on trouve tout : des éléments polyphoniques à la Bach et d’autres références baroques, des tentatives dodécaphoniques avec un clin d’œil à Schoenberg, la musique populaire, la vraie et la fausse. C’est une telle profusion, comme si l’œuvre voulait englober une somme des possibles. Mais finalement Bartók n’a pas renoncé à ses variations qui occupent tout l’Andante tranquillo. Avec Daniel Harding nous avons enregistré les deux versions de la coda du final pour pouvoir les comparer et choisir, et nous avons préféré l’original qui se passe avec tant de puissance du jeu du violoniste alors que dans la version révisée, évidemment, il joue jusqu’au bout. Je trouve l’écriture de la coda originale fascinante, avec ses effets de cuivre tellement singuliers.
Avez-vous quelques projets de disques ?
I . F. : Un album de Trios de Beethoven, avec entre autres « L’Archiduc » en compagnie de Jean-Guihem Queyras et d’Alexander Melnikov, puis un projet Schumann original en trois disques couplant à chaque fois un concerto et un trio. J’aime l’idée de ces disques à géométrie variable.
Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 2 octobre 2013
(1)Béla Bartók : Concertos pour violon nos 1 & 2 - Isabelle Faust, Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise, Daniel Harding / 1 CD Harmonia Mundi HMC 902146
Orchestre Philarmonique de Strasbourg, Marko Letonja
Isabelle Faust, violon
Œuvres de Beethoven et Stravinsky
24, 25 octobre 2013– 20h
Strasbourg, Palais de la Musique et des Congrès
www.philharmonique-strasbourg.com
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Photo : Felix Broede (c)2012 for harmonia mundi
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