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Un interview d’Arthur Stockel, clarinettiste – « Chez Weber, même dans les moments de bravoure, la musique n’est jamais oubliée. »
![© Clara Evens](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/styles/asset_picture_default_400x250/public/arthur_stockel_ok_c_clara_evens-09.jpg?itok=_Et84Dns)
Né en 1996, Arthur Stockel a étudié la clarinette auprès de Pascal Moraguès au CNSMDP. Dès l’âge de 21 ans, il a fait son entrée au poste de clarinette solo à l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg. L’instrumentiste lorrain voue depuis longtemps une affection toute particulière aux concertos et au Quintette pour clarinette de Carl Maria von Weber. Aux côtés de « son » orchestre, placé sous la direction du Britannique Leo Mcfall, et du Quatuor Hanson, il en offre un enregistrement empreint d’un merveilleux frémissement romantique, mais dédaigneux de toute virtuosité ostentatoire (label Aparté). Arthur Stockel à rendez-vous avec le Quatuor Hanson le 3 mars à la salle Cortot pour fêter la sortie de son enregistrement. Au programme : Mozart (Quintette KV 581), Schumann (Fantasiestücke op. 73) et Weber (Quintette op. 34).
Pourquoi avez-vous choisi ces œuvres pour votre premier disque en tant que soliste?
Tout simplement parce que je suis amoureux de cette musique. Et puis ce sont des œuvres que je trouve très intéressantes, car elles présentent une vraie dualité ; elles sont à la fois très lyriques et très virtuoses. Or, je trouve que, trop souvent, l’accent est mis uniquement sur le côté virtuose, et je voulais attirer l’attention sur la dimension lyrique, en donner une version plus épurée, plus tournée vers l’opéra.
Bien que j’appartienne à un orchestre occupé par le répertoire symphonique et que la formation à laquelle j’appartenais auparavant – le London Symphony Orchestra – était, elle aussi, peu tournée vers le lyrique, j’ai un immense plaisir à aborder le répertoire opératique.
![© DR](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/stockel_enrgt_c_dr2.jpg)
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"Une grande énergie s’est dégagée au cours de l’enregistrement des concertos de Weber."
Quand on écoute votre interprétation, on est saisi par l’aspect vocal des mouvements lents. On imagine facilement une soprano les interpréter en lieu et place de la clarinette…
J’ai découvert l’univers de l’opéra au cours de mes études, à Paris. Pour le concours d’entrée au CNSM je devais jouer une pièce issue d’un opéra. Et puis un de mes professeurs m’a incité à écouter du Verdi, de l’opéra italien. Dans les trois mois qui ont suivi, j’ai dû passer quatre ou cinq heures par jour à écouter de l’opéra. Surtout de l’opéra italien justement, La Force du Destin, La Traviata, etc.
Plus récemment, à Berlin, à la Hochschule für Musik Hans Eisler, j’ai découvert le lied. C’est vraiment Schubert, Schumann qui m’ont inspiré pour mon interprétation de Weber – je trouve extraordinaires les liens entre ces musiciens.
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Voila six ans que vous êtes devenu clarinettiste solo du Philharmonique du Luxembourg. Vous êtes arrivé après qu’Emmanuel Krivine en a été le directeur musical (de 2006 à 2015). Avait-il laissé une « empreinte française » sur le son de l’orchestre ?
Oui, véritablement, en particulier dans la sonorité des cordes. Je précise que l’orchestre est constitué de musiciens de 25 nationalités différentes. Cela donne des couleurs très riches. Les bois sont en général assez francophones, avec une culture de jeu très française, les percussions sont essentiellement germaniques, et les cuivres anglophones, ou issus des pays de l’Est. Il y a beaucoup de Hongrois. Les cordes sont assez mélangées, des Belges, des russophones, des Allemands…
En ce qui concerne l’enregistrement que j’ai réalisé avec des musiciens de l’orchestre, c’était électrisant. Une grande énergie s’est dégagée au cours de l’enregistrement des concertos de Weber. Quant au Quintette, j’ai été très heureux de pouvoir l’interpréter avec le Quatuor Hanson, que je connais depuis longtemps déjà.
Les mouvements lents des deux concertos de Weber et du Quintette sont très romantiques, particulièrement émouvants, parfois sombres …
On est entre 1811 et 1815. Weber était entré dans une période très romantique. Il avait fait la rencontre d’un clarinettiste, Heinrich Joseph Baermann (1784-1847), qui était un grand musicien. Nous avons du reste, nous les clarinettistes, la chance, d’avoir de grands interprètes qui ont suscité des chefs-d’œuvre, à l’instar de Richard Mühfeld pour Brahms.
Baermann était très virtuose, et a poussé Weber à aller plus loin dans la technique de l’instrument, tout en conservant sa passion pour le lyrique.
![© leo-mcfall.com](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/leo_mc_fall_ok_c_leo-mcfall.com_.jpg)
Leo Mc Fall © leo-mcfall.com
Pour en revenir à l’Orchestre philharmonique du Luxembourg, le directeur musical, pour quelque temps encore, est Gustavo Gimeno, présent depuis une dizaine d’années. Quel type de répertoire aime-t-il vous faire travailler ?
Il était percussionniste, a même été percussionniste dans l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam avant de devenir chef. Il a une grande intelligence du jeu et du texte, en particulier dans le répertoire du XXe siècle. J’ai des souvenirs mémorables d’un enregistrement de L’Oiseau de feu, ou de pièces de Dutilleux, parmi lesquelles le concerto « Tout un monde lointain », que nous avons interprété avec Jean-Guihen Queyras. Nous allons prochainement donner la 15e Symphonie de Chostakovitch.
A partir de 2026, nous aurons un nouveau directeur musical, le Hongrois Martin Rajna, qui a été choisi avec 100% des suffrages des musiciens de l’orchestre ! Il a été adoubé au bout d’une semaine de sessions vraiment très belles.
Nous avons joué avec lui, notamment la 8e Symphonie de Dvořák. Nous avons mis beaucoup de temps à trouver un successeur à Gustavo Gimeno.
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© DR
Dans le texte qui accompagne votre disque consacré à Weber, vous évoquez les conditions de l’enregistrement. Vous parlez notamment du fait que vous n’avez pas voulu être enregistré comme un « soliste », éloigné du reste de l’orchestre. Cette idée vous vient-elle du fait que vous êtes clarinettiste solo, donc habituellement dans l’orchestre, et parfois, à l’occasion de solos, « au dessus » de l’orchestre ?
C’était une proposition du label Aparté. Et cela m’a convenu parfaitement, d’autant que je me suis retrouvé aux côtés de collègues que je connais bien. La société d’un orchestre est une structure passionnante et très compliquée, une société magique, et chaque rôle est très délicat. A titre d’exemple, nous allons donner dans quelques jours la 5e Symphonie de Sibelius, sous la direction de John Eliot Gardiner. C’est un compositeur que j’ai très peu joué. Je suis en train d’étudier les traits de clarinette qui m’attendent dans cette partition. J’ai quelques solos où je vais être très exposé. Je devrai « sortir » de l’orchestre, et faire une proposition à ce moment-là. Mais il y a également beaucoup de passages à deux clarinettes dans la musique de Sibelius. Non seulement je devrai faire une proposition musicale, mais mon collègue de l’orchestre, deuxième clarinette, devra trouver le bon dosage pour me suivre, me soutenir, mais ne pas passer au-dessus de moi ; un travail particulièrement délicat.
"Chez Weber toutes les difficultés ont une explication, et une justification."
![© DR](https://www.concertclassic.com/sites/default/files/stockel_hanson.jpg)
Pendant l'enregistrement du Quintette op. 34 avec le Quatuor Hanson © DR
Les finales, tant du Quintette que des concertos de Weber, sont particulièrement virtuoses pour la clarinette …
C’est une musique grisante à interpréter. Et très très bien écrite pour l’instrument. Weber avait vraiment tout compris de la technique instrumentale. Même si cela va vite, même si c’est difficile, on éprouve un grand plaisir à jouer cette musique. Toutes les difficultés ont une explication, et une justification. Même dans les moments de bravoure, la musique n’est jamais oubliée. C’est une musique qui est toujours intéressante.
Eloignons nous pour conclure de Weber, et du Philharmonique de Luxembourg. Cet été, vous serez durant sept semaines dans un lieu quelque peu mythique, le Festival de Marlboro, dans le Vermont, un festival créé par Rudolf Serkin et son beau père, Adolf Busch. Pouvez-vous en dire quelques mots ?
Ce sera ma première fois. Il y a une communauté d’une quarantaine de musiciens. Chaque année, des maîtres demandent à quelques jeunes musiciens de les rejoindre ; j’ai la chance d’avoir été sélectionné. Nous jouerons et travaillerons tous ensemble. Le festival a une conception très exigeante et particulière de la musique de chambre. C’est un festival qui donne le temps de travailler. On connaît, en amont, les œuvres qu’on va jouer. Et on peut répéter jusqu’à être satisfait de l’interprétation. Il y a le plaisir du temps long ; la possibilité d’approfondir les œuvres durant sept semaines.
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 6 février 2025
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> Les prochains concerts de clarinette <
Arthur Stockel & le Quatuor Hanson
Œuvres de Mozart, Schumann & Weber
3 mars 2025 -
Paris - Salle Cortot
sallecortot.com/event/arthur-stockel-quatuor-hanson-weber-mozart-schumann/
Photo © Clara Evens
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