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Une interview d’Amandine Beyer, violoniste et directrice de l’ensemble Gli Incogniti (Festival de Saint-Denis, 16 juin) – « Vivaldi est le Rimski-Korsakov ou le Ravel du XVIIIe siècle »
Météo ensoleillée assurée à Saint-Denis le 16 juin à 17h ! Amandine Beyer et ses Incogniti ont rendez-vous au Festival pour un concert intitulé « Vivaldi, le monde à l’envers ». Un clin d’œil à l’album « Il Mondo al rovescio », goûteuse anthologie de concerti con molti strumenti sortie l’an dernier cher Harmonia Mundi.(1) On en a profité pour dialoguer avec la violoniste ; un entretien où elle redit son attachement – émerveillé – à la musique du Prêtre Roux – et rend d’abord hommage à un chercheur et musicologue qui a beaucoup fait pour la cause vivaldienne : Olivier Fourès.
« Il Mondo al rovescio » : quelle différence entre le programme de votre disque et celui du concert du 16 juin à Saint-Denis ?
« À un concerto près, c’est exactement le programme de notre album. Vivaldi a écrit quantité de concertos – et pas toujours le même contrairement à ce que l’on entend parfois ! – ; j’en connais énormément et je travaille avec un musicologue, Olivier Fourès qui, lui, les connaît tous ! Ceux pour violon (225 !) et tous les autres. Olivier Fourès nous aide énormément et nous guide dans ce répertoire vraiment infini. Il a fait une thèse sur la musique instrumentale de Vivaldi et vient de terminer l’édition complète de ses œuvres instrumentales (chez Ars Antiqua Madrid, 405 volumes au total). C’est particulièrement utile car Vivaldi n’est pas quelqu’un qui a fixé sa musique dans le marbre. Pour plein d’œuvres on dispose des diverses versions, selon les copistes, impression et réimpressions, et l’édition critique établie par Olivier est très précieuse pour les interprètes – et disponible en pdf de surcroît. Il faut vraiment saluer l’apport essentiel du travail d’Olivier Fourès.
Et il vous a donc aidée à vous retrouver dans la forêt des concertos vivaldiens ...
J’aime bien jouer en solo, mais je ne tiens pas à être toujours dans cette position ; ce programme permet d’aller vers de la musique instrumentale soliste à plusieurs. C’est presque l’idée de la symphonie concertante, sauf que ça n’existait pas encore à l’époque : on parlait de concerto con molti strumenti. L’âme de notre programme tourne autour de deux concertos. Le Concerto en fa majeur « Il Proteo ò sia Il Mondo al rovescio » RV 572 d’abord. A l’origine il s’agit d’un ouvrage très drôle pour violon et violoncelle dont les parties, en miroir, peuvent être interverties. Vivaldi aimait tellement l’idée à l’œuvre dans cet ouvrage qu’il l’a déclinée en une version complètement exubérante où les deux parties solistes sont complètement éclatées : le violon a désormais avec lui, à l’unisson, un traverso et un hautbois. Quant au violoncelle il a aussi la main droite du clavecin, un traverso et un hautbois !
L’autre concerto est le RV 556 en ut majeur « Per la Solennitá di S. Lorenzo », écrit vers le milieu des années 1720. On sait qu’à cette époque deux clarinettistes venus d’Europe centrale étaient présents à Venise. Un instrument que l’on ne connaissait pas du tout en Italie. En le découvrant, Vivaldi est tombé à la renverse et a écrit plusieurs concertos, dont ce RV 556, intégrant deux clarinettes. Vivaldi c’est vraiment le génie de la couleur ; le Rimski-Korsakov ou le Ravel du XVIIIe siècle ! Il utilise les clarinettes en coloriste, soit très exposées, soit intégrées à l’orchestre (écoutez le Largo e cantabile du RV 556, juste le violon solo, deux clarinettes à l’unisson dans le grave et archiluth ; une merveille ... ). Quand on regarde la partition de ce concerto, les choses peuvent paraître quelque peu éclatées, une sorte de puzzle ; mais dès qu’on la joue tout fait sens. J’adore cette musique !
C’est ce qu’il y a de magique avec Vivaldi ; une musique « simple » avec ce que l’ont pourrait désigner comme des « recettes » et pourtant... le charme opère ...
C’est vrai, Vivaldi a des recettes incroyable qui marchent tout le temps mais là, dans ces concerti con molti strumenti, il n’y a même plus de recettes. A la façon d’un grand chef, c’est toujours improvisé ; ça en devient vraiment hallucinant.
« Vivaldi est un mage, qui se transforme, et qui nous transforme », écrivez-vous dans le texte de présentation de votre disque ...
C’est vraiment ce que je ressens quand je joue Vivaldi. Quel que soit mon état d’esprit au moment où je prends mon violon. Je peux être fatiguée, triste, angoissée ... et dès que sa musique résonne mon état d’âme de transforme. Il a l’art de transporter les gens et ce de manière très simple, très claire – et d’une rare efficacité !
Amandine Beyer & Gli Incogniti © DR
Avez vous d’autres projets vivaldiens en ce moment ?
Nous allons reprendre les Quatre Saisons associées à la danse. Avec Gli Incogniti nous travaillons souvent avec la compagnie de danse belge Rosas d’Anne Teresa de Keersmaeker Ce sera le quatrième projet avec elle, après la Partita n° 2, les Concertos brandebourgeois de Bach et, plus récemment, les Sonates du Rosaire de Biber. Nous partons sur un projet avec les Saisons. Il a jusqu’ici été donné avec un enregistrement ; la création avec la musique live se fera à Bruges les 18 et 19 juin, juste après notre concert au Festival de Saint-Denis.
En amont de votre concert du 16 juin à Saint-Denis, vous ferez plusieurs interventions en direction du « jeune public ». La formule n’existait pas à l’époque de Vivaldi et pourtant, par son sens de la couleur, sa force suggestive, cet auteur donne l’impression d’avoir pensé à lui...
Vivaldi a été en contact avec la jeunesse ; il enseignait à l’Ospedale della Pietà. Il est resté quelqu’un de très jeune d’esprit, on le sent dans sa musique. Il savait que la musique peut provoquer l’émerveillement ; il a toujours été attentif à cela, en restant très accessible.
Et avec un grand sens de l’image aussi ...
Evidemment ! Même si on ne joue pas les Saisons, il y a tous les éléments de la nature dans sa musique, plein de personnages aussi. Ça en fait une musique très théâtrale, pratiquement de marionnettes ou de dessin animé. En janvier dernier nous avons déjà fait une intervention à Saint-Denis, à la Maison de quartier Pierre Semard, en formation quatuor, devant un public mêlant jeunes et moins jeunes auditeurs ... sur lesquels la magie vivaldienne n’a pas manqué de s’exercer !
Propos recueillis par Alain Cochard le 22 mai 2024
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(1) 1 CD Harmonia Mundi HMM 902688
Amandine Beyer et Gli Incogniti
Œuvres de Vivaldi
16 juin 2024 – 17h
Saint-Denis – Légion d’honneur (Pavillon de musique)
festival-saint-denis.com/concert/vivaldi-concertos-fantastiques/
Site de l'ensemble Gli Incogniti : gliincogniti.com/fr/accueil.html
Photo © Bertrand Pichène
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