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Une interview de Bruno Messina, chargé de la commémoration « Berlioz 2019 » – Berlioz enfin prophète en son pays !
L’entreprenant Bruno Messina (photo) est le grand manitou de « Berlioz 2019 », chargé par le Ministère de la Culture des commémorations de l’année Berlioz, pour les 150 ans de la disparition du compositeur (décédé le 8 mars 1869). Son action significative recueille déjà de beaux fruits, avec pour l’ensemble de l’année : 234 concerts présentant en Europe au moins une œuvre de Berlioz, dont 87 en France par non moins de 29 orchestres ou ensembles, comme aussi de multiples manifestations. Mais Bruno Messina reste toujours le directeur imaginatif du Festival Berlioz de La Côte-Saint-André (Isère), le bourg natal du compositeur (prochaine édition du 17 août au 1er septembre). Comme il œuvre également à la tête du Festival Messiaen au Pays de la Meije entre l’Isère et les Hautes-Alpes (du 26 juillet au 4 août), dédié à ce compositeur dans l’héritage direct de Berlioz. Il évoque ses actions multiples en ces différents domaines, et les récompenses d’un labeur ardemment accompli.
Bruno Messina © Delphine Warin - Festival Berlioz
Comment définiriez-vous votre rôle et vos objectifs, comme chargé de la commémoration nationale de « Berlioz 2019 » ?
Bruno MESSSINA : Mon titre dans le passé aurait été commissaire de ceci ou de cela… Désormais : chargé de cette commémoration, selon le Ministère de la Culture. Mon rôle serait un peu à la manière d’un attaché de presse, de promouvoir Berlioz et les événements qui s’y rattachent. Quelque fois d’en solliciter, de permettre d’en créer. Cela a commencé, dès que j’ai su en 2018 que Françoise Nyssen me confiait la mission, par aller voir ou appeler les directeurs de salles ou de festivals, pour essayer de faire en sorte que personne n’oublie cet anniversaire et que l’on fasse un maximum de Berlioz en France. En cela, j’ai été une sorte de mouche du coche pour dire et rappeler : n’oubliez pas l’année Berlioz !
La deuxième chose a été de réaliser un site, une sorte de plateforme, sur le site du Ministère de la Culture, avec des informations générales sur Berlioz, sur « Berlioz 2019 » et tout un dossier qui présente notre compositeur avec la biographie et un certain nombre de repères, à la disposition de tous ceux qui entendent parler cette année de ce thème ; il s’y trouve aussi un open-agenda, par lequel toutes les manifestations liées à Berlioz peuvent être vues. Donc vraiment beaucoup de choses ! Et l’on s’aperçoit que cette année rayonne bien, du côté des grandes phalanges, évidemment, l’Opéra de Paris, la Philharmonie de Paris, et tous les grands orchestres nationaux qui ont tous eu à cœur de mettre du Berlioz à leur programme en cette année. Mais on remarque qu’il y a aussi beaucoup d’initiatives, dont certaines que j’ai pu moi-même solliciter dans des villes de province, liées à cet événement. C’est très agréable de voir que les harmonies municipales, des groupes professionnels aux amateurs, fêtent Berlioz cette année. Il y a eu une petite enveloppe de l’État pour me permettre de faire également un peu de communication ; c’est ainsi que l’agende de presse Opus 64 s’occupe de cette année commémorative, de manière à ce que toute la presse soit informée.
Stéphanie d'Oustrac © Perla Maarek
Nous avons aussi fait passer l’information auprès des enseignants et professeurs de l’éducation nationale ; du côté des cours de musique, mais pas uniquement. Libre à eux de le faire ou de ne pas le faire ! Il y a eu des projets qui sont sortis de mes rendez-vous : Warner n’a pas eu besoin de moi, sinon indirectement, dans son projet d’intégrale discographique Berlioz. Mais il bénéficie de notre logo « Berlioz 2019 ». Cette intégrale, qui n’en est pas totalement une pour les puristes, comprend La Nonne sanglante, les extraits de l’opéra abandonné, enregistrés lors de notre dernier Festival Berlioz. Ce qui était une de mes suggestions.
Il y a aussi des projets chez Harmonia Mundi, autour des mélodies, avec en particulier Stéphanie d’Oustrac (avec Tanguy de Williencourt au piano ndlr), et de pages pour guitare. Et il y a ce logo, que différentes institutions, salles ou orchestres, nous réclament. Je citerais l’exemple récent de l’Orchestre de Mulhouse, qui m’a contacté afin d’inclure ce logo dans le cadre de leur programmation qui comprend nombre d’œuvres de Berlioz. Pour le grand public c’est un signe, et cela crée de l’envie. J’ai aussi pour projet, avec la Mairie de Paris, l’équipe de Christophe Girard autour d’Anne Hidalgo, de recréer la Symphonie funèbre et triomphale dans les rues de la capitale, comme elle avait été conçue à l’origine. Idée acceptée.
©culture.gouv.fr
Dans le cadre de ces commémorations il y a aussi l’affaire du Panthéon, et le transfert possible du grand homme dans ce mausolée des personnalités illustres de la République. Où en est-on ?
B. M. : J’avais au départ un accord de principe de Françoise Nyssen. On a changé de ministre de la Culture et de conseiller. J’ai repris mon bâton de père pèlerin pour redire à quel point ce serait un beau symbole. Et je dois rencontrer prochainement le Ministre de la Culture, Franck Riester, notamment pour parler de tous ces sujets. Donc, je garde l’espoir. D’autant que selon les mots de son directeur de cabinet, il est très enthousiaste de tout ce qui se passe autour de Berlioz. On a quand même de belles perspectives, et parfois de belles surprises. Je me rappelle les propos de Stéphane Lissner, à l’entracte des Troyens à la Bastille, qui me disait que le spectacle était complet, sold out, et que s’il avait su il aurait mis des représentations supplémentaires. C’est un bon signe, qui veut dire que désormais Berlioz est incontesté et incontestable.
Étant donné votre rôle officiel de chargé de mission, on peut penser que vous vous limitez à la France. Avez-vous eu des relations hors des frontières, dans d’autres pays ? Berlioz ne disait-il pas, dans sa toute dernière œuvre Le Temple universel, « Embrassons-nous par-dessus les frontières » ?
B. M. : Nous avons des liens avec l’Allemagne, avec l’Angleterre et la Berlioz Society notamment, quand bien même les Anglais auraient eu envie de commémorer notre compositeur comme s’il était anglais … Mais Berlioz reste malgré tout français, même s’il dit du mal de son pays et des Français. Ce qui, tout compte fait, est très français ! Avec en même temps une ouverture sur l’Europe. La commémoration reste cependant nationale, mais l’agenda du Ministère de la Culture par exemple s’est ouvert à l’Europe, sur ma proposition. Toutefois, bien évidemment, je n’ai pas les moyens, financiers ou de temps, pour faire le tour de l’Europe et aller moi-même prospecter la totalité des événements qui s’y déroulent.
Valery Gergiev © Marco Borggreve
Justement, maintenant abordons votre Festival Berlioz : vous y faites appel à des interprètes qui viennent de toute l’Europe…
B. M. : Bien sûr. Pour moi le Festival fait partie des événements forts de cette commémoration nationale, mais ouverte à l’international. Depuis dix ans que je dirige ce festival, j’ai essayé de créer une dynamique, de le tirer vers le haut. Quelle fierté pour moi aujourd’hui de voir qu’une personnalité comme John Eliot Gardiner est présente régulièrement, et qu’un chef tout internationalement reconnu comme Valery Gergiev a accepté de venir ! Ou Tugan Sokhiev, ou la fidélité de François-Xavier Roth, etc. C’est un acquis au fil des années. Je me suis appuyé sur des orchestres de région, puis à l’international : Baden-Baden, le LSO, l’orchestre de Cologne, la RAI de Turin … De grands orchestres de capitales importantes de la musique internationale. Sans oublier les grands orchestres parisiens, comme le Philharmonique de Radio France …
Aujourd’hui je ne compte pas les grandes formations qui ont le désir de venir. C’est une grande joie ! Et c’est une joie de voir que le monde berliozien ne se limite pas, par exemple à l’Angleterre. Il faut voir la passion russe pour Berlioz ! Quand je suis allé à Saint-Pétersbourg pour discuter avec Valery Gergiev, il a eu des envolées lyriques à propos de notre compositeur absolument extraordinaires. Une vraie passion ! Disant que les Russes ont mieux compris Berlioz, un peu comme le font les Anglais ! Et si on pense aux Allemands, à Baden, aux propositions que Berlioz avait reçues pour s’installer en Allemagne … Vraiment une échelle européenne ! Et cela reste plus vrai que jamais.
Pour cette édition du Festival Berlioz, vous faites particulièrement fort : avec quatre grandes œuvres lyriques, dont deux opéras, des interprètes d’immense prestige, des commandes à des compositeurs… Pouvez-vous en faire quelques commentaires ?
B. M. : Je voulais que cette année soit la plus belle possible, que La Côte-Saint-André attire tous les regards. Que l’on se dise : le cœur battant du monde berliozien se trouve bien là ! Juste retour des choses ! C’est aussi, dans le cadre d’un festival, la diversité du talent de Berlioz. C’est un compositeur immense ! Immense aussi dans ses propositions, qui vont de la mélodie jusqu’à des grands déploiements. Arriver à enchaîner Les Nuits d’été, Roméo et Juliette, Benvenuto Cellini, La Damnation de Faust, La Prise de Troie, toutes ces œuvres incroyables, c’est aussi montrer à quel point c’est dense, c’est immense, un véritable continent ! De l’infiniment grand du compositeur dans l’infiniment petit du bourg où il est né ! J’aimerais citer, et ce n’est pas seulement anecdotique, le qualificatif choisi depuis 2018 par la région Bièvre-Isère, qui regroupe plus de cinquante communes entre Lyon et Grenoble, pour marquer ses produits locaux et ses attraits touristiques : « Terres de Berlioz ». Enfin prophète dans son pays !
Michaël Levinas © DR
Évoquons aussi Messiaen, et cet autre festival que vous menez, dédié à cet admirateur de Berlioz. En quelques mots ?...
B. M. : Messiaen se revendique de Berlioz, et dans son travail a effectué une sorte de développement du Traité d’orchestration de son devancier, quand on voit ses écrits et ses théories, notamment sur les couleurs et dans lequel il va déployer son orchestre. Il se revendiquait de Berlioz bien qu’ils fussent de personnalité très différente : le très moral et très catholique Messiaen nous semblerait plus vieux dans son attitude que le souvent iconoclaste Berlioz ! Il y a aussi ces lieux d’inspiration, ces paysages, ces montagnes où ils ont vécu et qui les lient.
Cette année, pour ma première édition du Festival Messiaen, j’ai invité Michaël Levinas. Et cela aura un prolongement au Festival Berlioz, où le compositeur pour ses 70 ans revient sur une pièce qu’il avait adaptée en 2003 à partir de la nouvelle Euphonia de Berlioz, dont il n’était pas entièrement satisfait, reprise cette fois dans une version complètement repensée et créée lors du festival. D’où le changement du titre : Euphonia 2344. Une belle surprise, avec mise en scène. Un lien direct, certes. Mais on peut en voir d’autres à travers la mélodie, quand Messiaen écrit ses Poèmes pour Mi, qui continue cet héritage et que nous allons mettre en valeur.
Propos recueillis par Pierre-René Serna, le 30 avril 2019
Pour en savoir plus :
www.culture.gouv.fr/Thematiques/Musique/150e-anniversaire-de-la-mort-d-Hector-Berlioz
www.festivalberlioz.com
www.festival-messiaen.com
Photo Bruno Messina © Delphine Warin
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