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Une interview de Joël Suhubiette, chef de l’Ensemble Jacques Moderne et du chœur de chambre Les Eléments
Présent au Festival de Musique ancienne d’Utrecht les 4 et 5 octobre derniers, à la fois avec le chœur de chambre Les Eléments (qu’il « prêtait » à son complice Jean-Marc Andrieu pour une soirée Gilles) et avec l’Ensemble Jacques Moderne dans un programme Le Jeune / Du Caurroy dont l’austère beauté a conquis le public, Joël Suhubiette a répondu à Concertclassic. Une occasion de faire le point sur l’activité d’un chef partagé entre deux ensembles vocaux et que les mois d’octobre et de novembre donnent l’occasion d’entendre en Espagne et en France, à la tête de Jacques Moderne, dans des pages sacrées de Domenico Scarlatti.
Jacques Moderne, Les Eléments : pourriez-vous préciser la nature du travail que vous menez avec chacun de ces deux ensembles ?
JOËL SUHUBIETTE : Je dirige l’Ensemble Jacques Moderne depuis 1993. Je ne suis pas à son origine car il avait été fondé par Jean-Pierre Ouvrard (décédé en 1992), un musicologue spécialisé dans le répertoire de la Renaissance. A l’époque certains membres de Jacques Moderne appartenaient aussi à la Chapelle Royale de Philippe Herreweghe dont j’étais l’assistant l’époque. Ils m’ont proposé de venir faire un programme et c’est ainsi que j’ai été amené à prendre la direction de cet ensemble, basé à Tours depuis l’origine. J’ai continué dans la lignée d’Ouvrard en faisant la polyphonie du XVIe siècle mais, n’étant pas spécialiste des débuts de la Renaissance, j’ai amené peu à peu l’ensemble au premier baroque, notamment italien, mais aussi allemand (Schütz, Schein, etc.). Il se situe désormais à la charnière des XVIe et XVIIe siècles – le programme Le Jeune / Du Caurroy que nous donnons à Utrecht en est un exemple. On peut dire qu’aujourd’hui Jacques Moderne - une douzaine de chanteurs, avec pas mal de programmes à un par voix - va de la polyphonie de la Renaissance à Bach et que Les Eléments vont de Bach à la musique contemporaine. Chœur de chambre, Les Eléments oscillent entre 18 et 30 chanteurs en général, avec souvent un effectif de 24 car j’aime ce chiffre qui se divise en 4, 6, 8, 12 et permet d’aborder de nombreux répertoires dans un même concert.
Comment sont nés Les Eléments ?
J. S. : En tant qu’ensemble professionnel, le choeur existe depuis 1997. Mais Les Eléments sont en fait nés en 1985 alors que j’étais étudiant. C’était une histoire de copains de conservatoire qui se réunissaient pour faire un programme l’été, un autre l’hiver. A partir de 1986 j’ai chanté avec Herreweghe, avec les Arts flo aussi, j’ai habité Paris, mais j’ai continué à travailler avec l’association Les Eléments, basée à Toulouse – ville où je me suis d’ailleurs réinstallé aujourd’hui. En 1997 j’ai décidé d’arrêter de chanter. Après huit ans d’assistanat auprès d’Herreweghe, j’avais envie de voler de mes propres ailes et de faire un chœur de chambre. Les Eléments ayant déjà un nom - et un enregistrement à son actif -, le Ministère nous a suivis. Le Groupe Vocal de France venait alors de cesser son activité. Sa subvention a été partagée entre divers ensembles et Les Eléments, qui devenaient le seul chœur professionnel de la Région Sud-Ouest, ont été soutenus. Que ce soit avec Jacques Moderne ou Les Eléments – avec lesquels j’ai fait de l’oratorio ou d’autres choses -, il m’apparaît fondamental de beaucoup fréquenter le répertoire a cappella pour demeurer au top niveau, pour l’homogénéité des pupitres, etc. Les Eléments sont très présents sur la musique du XXe siècle et nous passons commande d’au moins deux œuvres tous les ans.
Hormis vous-même, quel sont les liens entre les deux ensembles ?
J.S. : Certains chanteurs, une moitié de Jacques Moderne à peu près, appartiennent également aux Eléments. Souvent ce sont ceux qui sont a l’aise dans la polyphonie a cappella du XVIe siècle (qui suppose une capacité à travailler sur les tempéraments, etc.) que l’on retrouve en musique contemporaine. Avec ces deux ensembles j’ai créé une famille de chanteurs qui sont pour la plupart fidèles et auxquels je suis fidèle depuis une quinzaine d’années.
Comment se répartit votre activité entre Jacques Moderne et Les Eléments ?
J.S. : Les Eléments m’occupent plus, pour diverses raisons. Etant plus aidés financièrement ils ont la possibilité de monter plus de programmes que Jacques Moderne. Je dirige une partie des concerts des Eléments, mais je me charge aussi de préparer le chœur pour ceux qui font appel à lui. Nous avons travaillé avec Christophe Rousset, depuis quelques années nous collaborons avec Jérémie Rohrer et son Cercle de l’Harmonie, avec Jean-Marc Andrieu et l’Ensemble Les Passions. Nous avons aussi un partenariat avec l’Opéra Comique sur l’opéra français. A propos d’opéra nous ferons Idoménée de Mozart avec Jérémie Rohrer en juin prochain au TCE, dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig.
Vous avez « prêté » votre chœur hier soir à Jean-Marc Andrieu pour un programme Gilles avec l’Ensemble Les Passions. C’est là un complice de très longue date…
J.S. : Nous nous connaissons depuis à peu près trente ans ! Quand je suis arrivé au Conservatoire et à l’Université à Toulouse, j’ai chanté immédiatement dans le chœur d’Alix Bourbon – qui était alors l’un des quatre ou cinq meilleurs ensembles amateurs de France. Des musiciens tels que Malgoire, Leonhardt, Corboz sont venus le diriger. Jean-Marc Andrieu était membre de ce chœur et c’est là que nous nous sommes rencontrés. En 1985, Jean Marc à créé son orchestre, qui ne s’appelait pas encore Les Passions mais Ensemble baroque de Montauban. C’est moi qui ai le premier demandé son orchestre à Jean-Marc pour des Haendel, des Mozart, des Bach. Etant tous les deux présents à Toulouse, une collaboration s’est nouée très naturellement – qui ne m’a pas empêché de collaborer avec d’autres chefs, ni Jean-Marc de former ses ensembles vocaux pour certaines productions – et fonctionne très bien.
Quels sont les temps forts de votre saison, tant avec Jacques Moderne que Les Eléments ?
J.S. : Parallèlement à la sortie d’un CD Domenico Scarlatti (chez Ligia Digital) réunissant le Stabat Mater et la Messe de Madrid, Jacques Moderne donne ce répertoire au cours d’une tournée qui le mènera à Paris, le 15 octobre à l’Oratoire du Louvre. Ce programme Scarlatti tournera à nouveau au printemps prochain, sur des dates qui restent à confirmer. Avec les Fontaines d’Israël de Schein nous reprenons par ailleurs un programme qui a beaucoup tourné la saison dernière. Février 2011 sera marqué par un Didon et Enée à Montargis, repris à la rentrée en tournée. Nous aurons également l’occasion de redonner le programme Le Jeune/Du Caurroy présenté à Utrecht. Quant aux Eléments, mars 2011 sera marqué par la sortie (chez L’empreinte digitale) d’un programme intitulé« Méditerranée», que nous avons donné une vingtaine de fois depuis un an. Il s’agit de polyphonies, de la Renaissance à la création contemporaine (Gesualdo, Victoria, Lotti, Scelsi, Petrassi, Markeas, Moultaka, etc.), dans quatre langues anciennes du bassin méditerranéen (latin, grec ancien, hébreu et araméen). Je suis très attaché à ce programme où les époques se mélangent. Dans le même esprit nous allons aussi proposer un programme « Polychoralité », avec des pièces à deux, trois, cinq et six chœurs (Palestrina, Josquin, Franck Martin, Markeas). Enfin, même si je ne dirige pas, l’Idoménée du mois du juin au TCE me tient à cœur – les parties chorales de cette œuvre sont si belles… ce sera un moment important pour Les Eléments.
Propos recueillis par Alain Cochard, à Utrecht, le 5 septembre 2010
L’Ensemble Jacques Moderne en tournée
Œuvres de Domenico Scarlatti
Festival internacional de Leon (Espagne) le 12 octobre, Paris (Oratoire du Louvre) le 15 octobre, Tours le 16 octobre, Monts le 21 novembre 2010
Infos détaillées : www.jacquesmoderne.com
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