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Une interview de Michael Schønwandt – « Tous les membres de l’Orchestre Français des Jeunes expriment une grande passion, une grande curiosité »

 

Riche actualité pour Michael Schønwandt ! Jusqu’au 30 septembre, on le retrouve à l’Opéra Bastille pour la reprise de Falstaff dans la production de Dominique Pitoiset. Quant au mandat du chef à la tête de l’Orchestre Français des Jeunes, entamé en 2021, il touche à son terme ; le moment du passage de relai avec sa collègue estonienne Kristiina Polska approche. Reste qu’on aura encore le bonheur de retrouver le maestro lors de la session d’hiver de l'OFJ, les 10, 11 et 13 décembre (à Dijon, Paris et Ludwigsburg), dans des pages de Dallapiccola, Bartók, Beethoven et Tchaïkovski (avec Elisabeth Leonskaja et Jean-Paul Gasparian au piano).
Concertclassic a rencontré l'artiste danois juste avant le début des représentations de Falstaff. Une conversation au cours de laquelle il dit combien les années passées à l'OFJ l'ont enrichi, son impatience aussi de retrouver l'ultime et euphorisant opéra de Verdi et son rêve de diriger Pelléas et Mélisande. Puisse une scène française lui permettre de le réaliser enfin et, se permettra-t-on d'ajouter, d'avoir l'idée de faire appel à lui pour un opéra qu'il connaît mieux que personne : Maskarade, de son compatriote Carl Nielsen. (1)

 
Le Concerto pour orchestre de Bartók figure au programme des concerts de décembre. Pourquoi avoir choisi cette pièce ?
 
C’est une partition que je fréquente depuis mes années de jeunesse ; j’adore la diriger, particulièrement avec de jeunes instrumentistes. C’est un challenge pour l’orchestre ; cette œuvre va enflammer, provoquer, inspirer ces jeunes ! Quant à notre collaboration avec Elisabeth Leonskaja, elle est toute récente. L'orchestre a joué deux ouvrages avec elle cet été : "L"Empereur" de Beethoven et le 2e Concerto de Tchaïkovski
 

© Matthieu Joffres

 
« L’OFJ est aussi un modèle pour notre société »

 
L’OFJ a été fondé en 1982 dans le but de former de jeunes instrumentistes au métier de musicien d’orchestre. Quelques mots sur cette phalange d’un genre particulier ...
 
En quarante ans, plus de 3000 musiciens sont passés par l’OFJ. Et 90% ont pu ensuite trouver un travail dans la musique, même si tous ne sont pas devenus des musiciens d’orchestre. C’est une institution s'est rendue indispensable, pour permettre à des instrumentistes qui sortent du conservatoire ou d’autres écoles de faire l’apprentissage de l’orchestre. Et c’est aussi un modèle pour notre société.
 
Avez-vous eu une expérience de musicien d’orchestre avant d’entreprendre votre carrière de chef ?
 
J’étais pianiste au départ, et pas d’un niveau exceptionnel. De plus, j’ai épousé une merveilleuse pianiste, donc je ne m’y suis plus risqué ... J’ai également fait de l’alto. Mais si j’ai très peu joué au sein d’orchestres, j’ai toujours adoré le son de l’orchestre.
Quand j’étais enfant, j’allais à l’Opéra Royal du Danemark. Nous habitions à quelques dizaines de mètres de celui-ci et mes parents, grands mélomanes, m’y emmenaient très régulièrement.
 

En discussion avec Elisabeth Leonskaja pendant la résidence d'été de l'OFJ à la Saline royale d'Arc-et-Senans © OFJ

 
« Je rêve de diriger Pelléas et Mélisande »

 
A propos de répertoire lyrique, vous dirigez Falstaff jusqu’à la fin septembre à l’Opéra de Paris. Une relation ancienne vous lie à cette maison, ce dans un répertoire très varié : Alceste de Gluck (1985) ; Salomé (1986) ; Macbeth (1987) ; Elektra (1992) ; La Petite renarde rusée (2010) ; Lulu (2011) ; Così fan Tutte (2013) et Wozzeck (2017). Cet éclectisme est-il le fruit de votre volonté ?
 
Un être humain porte beaucoup de sentiments en lui, et pourtant, dans notre profession, on aime bien cataloguer les interprètes. Je m’y suis toujours refusé. Cela me permet de travailler avec des traditions différentes, des styles différents.
 
Après avoir dirigé tant d’opéras, rêvez-vous encore d’interpréter une œuvre en particulier ?
 
Oui, Pelléas et Mélisande ... Quand j’étais chef principal de l’Opéra-Orchestre national de Montpellier (de 2015 à 2024 ndlr), il en a été question à plusieurs reprises, mais cela ne s’est jamais fait. J’ai le grand espoir de diriger un jour cet opéra.

"Chaque fois que je dirige un orchestre français, il y a toujours des musiciens qui viennent me voir en me disant qu’ils ont travaillé avec l’OFJ."
 
 
Comment sont sélectionnés les musiciens de l’Orchestre Français des Jeunes ; comment travaillez-vous avec eux ?
 
Il y a chaque année entre 700 et 800 candidats, qui sont sélectionnés dans toute la France par des auditions. On en retient un centaine. Puis nous choisissons le répertoire. Après cela, on envoie aux musiciens les partitions des œuvres sélectionnées. Ils travaillent, chacun de son côté d’abord, puis lors de sessions avec des coaches issus des plus grands orchestres français. C’est un travail de longue haleine. Chaque musicien reste durant un an au sein de l’orchestre (certains chefs de pupitre reviennent parfois).La plupart de ces jeunes ont un très haut niveau, et tous expriment une grande passion, une grande curiosité. Beaucoup se présentent aux concours d’orchestre après leur passage à l’OFJ. Et beaucoup réussissent, notamment grâce à la formation qu’ils ont reçue.
Cette expérience leur apporte énormément, mais elle m’apporte également beaucoup. Et puis, ce qui est émouvant est que chaque fois que je dirige un orchestre français, il y a toujours des musiciens qui viennent me voir en me disant qu’ils ont travaillé avec l’OFJ.

 

© Ugo Ponte

Bartók, Beethoven et ... Dallapiccola ! 

 
Nous avons évoqué le Concerto pour orchestre de Bartók, et les deux concertos pour piano (1) qui seront interprétés par Elisabeth Leonskaja (et Jean-Paul Gasparian pour le concert à Ludwigsburg). Un Dallapiccola figure aussi au menu des concerts de décembre ...
 
Pour les trois concerts de fin d’année, nous commençerons en effet par une fort belle pièce de Luigi Dalappicolla, Piccola musica notturna, écrite en 1954. Il est très important de faire travailler un tel langage musical aux jeunes musiciens. Un style très différent de Bartók, une œuvre quasi dodécaphonique, mais ... chantante !
 
Il est toujours émouvant pour les auditeurs d’assister à un concert de l’OFJ. Et vous, que ressentez-vous ?
 
Pour moi aussi, ces concerts sont émouvants ; une conversation sans parole entre musiciens, musique et public. Cela peut vous paraître sans rapport, mais une fois, à Montpellier, j’ai essayé de mettre le public au sein de l’orchestre, en plaçant des spectateurs près des musiciens. La réaction du public a été incroyable ! Les concerts avec l’Orchestre Français des Jeunes m’évoquent ce souvenir, ce lien.
Pour revenir aux concerts de fin d’année, l’une de mes tâches sera d’éviter que tous ces jeunes musiciens aient peur d’être sur scène ! Ils ne doivent penser qu’à jouer et à l’émotion du concert.

 

© William Beaucardet

 

"Le travail avec des chanteurs différents me permet d’essayer de nouvelles choses"

 
Quittons l’Orchestre Français des Jeunes. Notre entretien se déroule juste avant la première de Falstaff à la Bastille. Une partition dont vous êtes très familier ...
 
J’ai dirigé Falstaff une soixantaine de fois ! Je crois que c’est l’opéra que j’ai le plus dirigé. Je l’ai écouté pour la première fois à l’âge de 13 ans à l’Opéra Royal du Danemark. Je m’attendais à une œuvre dramatique, et dès le début j’ai pris une claque avec cette ouverture qui « claque » justement. C’est un opéra euphorisant, mais très délicat à diriger. Il est incroyable qu’à la fin de sa vie, Verdi ait choisi de composer une œuvre aussi comique. Sur un livret d’Arrigo Boito, auquel on devait Simon Boccanegra et Otello !
Pour ce qui est des représentations à l’Opéra Bastille, j’ai la chance de pouvoir compter sur une exceptionnelle équipe vocale. J’ai beau avoir dirigé un grand nombre de fois ce Verdi, le travail avec des chanteurs différents me permet d’essayer de nouvelles choses. Sans compter la collaboration avec Dominique Pitoiset, avec lequel je me suis tout de suite très bien entendu.
 
Allez-vous continuer à diriger autant à l’opéra ?
 
J’ai dirigé un répertoire énorme, et je vais ralentir. C’est à chaque fois un travail qui prend énormément de temps. Cette saison je dirigerai à l’Opéra Royal de Copenhague, et dans une autre institution. Mais ce sera tout. Le reste de mon activité sera consacré au répertoire symphonique.  
 
Propos recueillis par Frédéric Hutman, le 9 septembre 2024
 

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(1) Rappelons que Michael Schønandt a signé un admirable enregistrement de Maskarade en 2024 pour DA CAPO ( SACD 6. 220641-42)

Falstaff à l’Opéra Bastille
15, 18, 21, 24, 27 et 30 septembre 2024 – 19h30 ( 14h30 le 15)
www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/falstaff

Avec l’Orchestre Français des Jeunes
https://www.ofj.fr/agenda/

Dallapiccola, Beethoven (avec E. Leonskaja) & Bartók
- 10 décembre 2024 – 20h
Dijon – Auditorium
- 11 décembre 2024 – 20h
Paris – Philharmonie

Dallapiccola, Tchaikovski (avec J.-P. Gasparian) & Bartók
- 13 décembre 2024 – 20h
Ludwigsburg – Forum am Schlosspark

Photo © William Beaucardet

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