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Une interview de René Martin, directeur du Festival « Je perturbe les cigales, mais uniquement pour la magie du piano en plein air. »

Rendez-vous mondial des amoureux du piano, la 39e édition du Festival International de Piano de la Roque d’Anthéron démarre ce 19 juillet par une soirée réunissant Evgeny Kissin et l’Orchestre Philharmonique de Radio France dirigé par Andris Poga.
Elle marque le début d’un mois de concerts, masterclasses, résidence d’artistes et rencontres. Une centaine d’événements au total, avec les plus grands interprètes d’aujourd’hui, mais aussi de jeunes talents à découvrir, répartis dans une vingtaine de lieux dont le légendaire Parc du Château de Florans demeure le centre de gravité.

Créateur et directeur du Festival de la Roque depuis 1981, mais aussi du Festival de la Grange de Meslay, de l’Abbaye Royale de Fontevraud, de La Folle Journée de Nantes – désormais déclinée dans le monde entier, Tokyo, Bilbao, Rio ou Varsovie –, René Martin (photo) défriche inlassablement les chemins de la musique, en particulier du piano, et nourrit avec curiosité et générosité, l’histoire sans fin du clavier. 
 
 
Le Festival de La Roque s’est progressivement étendu à d’autres lieux de la région toutes ces dernières années. L’abbaye de Silvacane, Eygalières l’an dernier, une nouveauté encore pour cette 39e édition ? 
 
René Martin : Oui, nous investissons un nouveau lieu, magnifique et mythique en fin de compte. Il s’agit de La Fabrique à Saint-Rémy de Provence, studio d’enregistrement d’artistes tels que Jacques Higelin, Nick Cave, Stephan Eicher, Julien Doré… Nous y serons les 11 et 12 août cette année, pour deux concerts de piano-jazz, l’un dédié à Billie Holliday par Paul Lay, avec une contribution vidéo d’Olivier Garouste ; l’autre est un récital de l’un de nos plus grands pianistes de jazz actuels, Thomas Enhco, qui a d’ailleurs fait des débuts très remarqués à la Roque, en 2013, puis à la Folle Journée l’année suivante, avant sa nomination aux Victoires Jazz 2015. 
Je suis très heureux de cette ouverture. J’ai beaucoup d’ambition pour ce lieu chargé d’histoire(s) et des idées de création pour la suite. Il y a beaucoup à imaginer et à faire pour la musique du XXe siècle, Philip Glass par exemple, ou la musique franchement contemporaine.

 

 Alexandre Kantorow © Jean-Baptiste Millot

Le Festival de La Roque est un Festival de légendes du piano. Après trente-neuf ans de direction artistique et de rencontres, quel est l’un de vos plus grands souvenirs ?
 
R.M. : Réponse impossible bien sûr (rires). Vous savez, le Festival de la Roque d’Anthéron est devenu progressivement mais finalement assez vite, un événement absolument incontournable. L’affiche le démontre encore cette année : ils sont tous là ! Je crois que Nelson Freire est venu au moins 27 fois s’y produire ; il est ici comme à la maison. Bon nombre de grands, très grands sont venus faire leurs premières armes à la Roque. Alexandre (Kantorowndrl) vient depuis l’âge de 16 ans. Je pense aussi à tous ces pianistes, venus d’abord comme auditeurs, quand ils étaient gamins : Bertrand Chamayou en famille, ou encore Khatia Buniatishvili accompagnée de son professeur quand elle avait 14 ans … La récompense, pour ces jeunes étudiants musiciens étaient de venir voir et écouter dans ce cadre sublime un très grand pianiste. Tout cela a contribué à écrire la légende de la Roque. Je ne peux m’empêcher de penser au premier récital en France de Nicolaï Lugansky et de la présence du label Erato, qui l’a signé dans la foulée.
 

Georgy Tchaidze © georgytchaidze.com

La cohabitation heureuse de légendes vivantes du piano et de jeunes talents fait aujourd’hui l’identité de la Roque ?
 
R.M. : Oui. Pardon pour la comparaison qui va suivre, mais elle est assez parlante au fond. Chaque année, au festival de Cannes, il y a un long métrage d’Almodovar présenté en sélection officielle par exemple et en parallèle, il y a une sélection plus audacieuse de découvertes appelée « Un Certain Regard ». C’est précisément cela qui m’intéresse, poser un diagnostic général sur les tendances du piano ! Comment vit le piano aujourd’hui ? Il y a des pianistes incontournables, Daniil TrifonovGrigory Sokolov ou le monstre sacré Arcadi Volodos. Mais, vous voyez, les nouvelles générations me captivent. J’y suis particulièrement attentif et j’ai encore une insatiable soif de découverte. Retenez le nom de Georgy Tchaidze (programmé le 13 août à 18h au Parc du Château de Florans). C’est un artiste absolument formidable. Je suis intimement persuadé qu’il ira très loin. Dans trois ou quatre ans, on le demandera partout, c’est un futur Lugansky !
 

Le Consort © Jean-Baptiste Pellerin
 
« La Roque, c’est la maison du piano »dites-vous. Elargi à d’autres claviers : clavecin, orgue… ?
 
R.M. : Bien sûr ! Outre les tendances actuelles du piano, j’ai élargi le Festival aux claviers, à tous les claviers jusqu’à l’accordéon, avec Richard Galliano cette année.
La palette est de fait extrêmement large : le pianoforte de Jérôme Hantaï à Silvacane, l’orgue de la cathédrale Saint-Sauveur avec Grégoire Rolland, ou encore celui de Cucuron avec Constance Taillard, les clavecins de Skip Sempé, Pierre Hantaï, Pierre Gallon ou Justin Taylor avec Le Consort. Et bien sûr toujours le grand piano romantique et fondateur de Florans. Dans des sites magnifiques, remplis d’histoire, j’essaie, avec les artistes, de raconter l’histoire sans fin du clavier.
 

© Bernard Fruhinsholz

Grigory Sokolov © Bernard Fruhinsholz
 
Quid du « Off » de la Roque ?
 
R.M. : Vous avez raison ; le Off s’imbrique totalement dans le In et créé beaucoup d’animation à la Roque. Des jeunes de toute la région PACA ont pu voir les coulisses du Festival. Nous avons des ensembles en résidence ; une académie de professeurs du Conservatoire National Supérieur de Musique se retrouvent et viennent travailler ensemble à la Roque. Cette année, il y a entre autres Claire Désert et Emmanuel Strosser. Une belle promotion nous attend avec des trios avec piano, un quintette, un duo à quatre mains. J’insiste d’ailleurs énormément sur la musique de chambre et les classes d’accompagnement, très formatrices.
En organisant pas loin de 1500 concerts par an, dans des répertoires originaux, je crois énormément à cette émulation parallèle aux grands concerts.
 
Les masterclasses sont publiques ?
 
R.M. : Et comment ! Ces ateliers permettent une approche alternative et vivante de la pratique musicale, souvent solitaire en piano, il faut bien dire. Lorsqu'un cours d'interprétation est ouvert au public, il prend une autre dimension. C'est un outil déterminant pour sensibiliser le public au travail de création. Les professeurs éclairent non seulement les élèves mais également le public passionné sur les divers aspects des œuvres travaillées. 
Professeurs et élèves se réunissent sur scène le 15 août pour un grand concert gratuit au Parc du Château de Florans !
 

Bertrand Chamayou © Marco Borgreve

Le public suit ?
 
R.M. : Absolument. J’essaie de toucher tous les publics et d’adopter les bonnes idées trouvées de-ci de-là, pour la Folle Journée à Varsovie par exemple. La Roque accueille un public plutôt fidèle et plutôt curieux, qui nous fait confiance. Je note qu’il y a chaque année un peu plus de fréquentation encore. Je suis très heureux de réunir 80 000 personnes autour du piano, on n’est pas loin des Vieilles Charrues. Le public du piano est assez jeune et en tout cas, très familial. Nous sommes très attentifs aux familles, comme je vous l’ai dit. On les fait venir à des tarifs préférentiels, avec des horaires faciles pour s’adapter, le matin, ou en fin d’après-midi pour les récitals de 18h. Et dans le public, vous l’avez compris, nous avons des artistes qui se produisent et qui restent, deux ou trois jours pour écouter les collègues, les amis.
A la Roque, on vient jeune, et on revient sur plusieurs générations. C’est la grande maison de famille, et du piano, en plein air.
 

Paul Lay © paul-lay.com

Le plein air, parlons-en. Pas si simple pour la musique acoustique ...
 
R.M. : Vous savez, je suis un obsédé de l’acoustique et me suis battu contre les éléments, et avec eux, bien entendu. J’en suis à la création d’une sixième conque acoustique dont je suis désormais pleinement satisfait. Les gradins (2000 places) sont ultra confortables. Nous avons sept Steinway de concert au choix pour le pianiste, des salles de répétitions, des studios climatisés, le tout au cœur du magnifique parc avec platanes et sequoias centenaires.
Nous avons tous rendez-vous avec les cigales dont le chant contribue à la magie du site. Je perturbe les cigales, mais c’est pour une autre magie, celle du piano en plein air. J’ai mis quinze ans à comprendre, mais lorsque l’on allume les quelques centaines de projecteurs de la conque, 600 désormais, les cigales alors se taisent pour laisser chanter le piano.
Je suis très satisfait de partager notre expérience avec des petits villages alentour, nous mettons notre savoir-faire à la disposition de nos partenaires, en bonne intelligence. J’ai l’image du Temple de Lourmarin ou du Théâtre des Terrasses de Gordes ... Décidément, une région bénie des Dieux.
 
Propos recueillis par Gaëlle Le Dantec, le vendredi 5 juillet 2019

Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron, du 19 juillet au 18 août 2019
www.festival-piano.com/fr/accueil/bienvenue.html

Photo © DR

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