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​Une interview de Rodolphe Bruneau-Boulmier, directeur de la Musique à la Scala Paris – « Aux Armes Contemporains fait partie de l’ADN de la Scala Paris »

 

Diplômé en musicologie, compositeur, producteur à France Musique, directeur artistique de la Fondation, Banque Populaire, Rodolphe Bruneau-Boulmier (photo) est aussi directeur de la musique à la Scala Paris (et de la Scala Provence-Avignon depuis son ouverture en 2022). En sept années, il a su imprimer une personnalité originale à ce lieu, redevenu un théâtre après divers changements d’affectation …

On l’a rencontré à l’approche de la 7e édition du Festival « Aux armes Contemporains », qui se déroulera du 11 au 14 octobre prochains.

 
Quelles sont les circonstances qui vous ont amené à programmer la saison musicale de la Scala Paris ?
 
Frédéric Biessy, qui avec son épouse Mélanie, dirige ce théâtre, avait entendu parler de moi par un article paru dans Le Monde, à propos d’un festival de piano, que j’avais organisé au Louvre-Lens. J’avais essayé d’y programmer des concerts d’une façon un peu différente de la manière traditionnelle. (Il s’agit du Festival Muse&Piano dont la 9édition s’est déroulée du 27 au 29 septembre  ndlr). Au moment où la Scala allait s’ouvrir, venaient d’être inaugurés à Paris le nouvel auditorium de Radio France, la Philharmonie de Paris et la Seine Musicale. Frédéric Biessy, qui souhaitait programmer de la musique classique à la Scala, m’a contacté, et je me suis dit qu’il fallait proposer ici ce qu’on trouvait moins ailleurs, à savoir en particulier de la musique contemporaine et de jeunes artistes.
« Aux Armes Contemporains » est né dès la première saison. C’était un pari très audacieux pour une salle privée. On m’a alors dit que cela ne durerait pas et ... nous en sommes à la septième édition ! Ce festival fait partie de l’ADN de la Scala, laquelle, avant de redevenir un théâtre (elle avait été initialement un théâtre à l’italienne, inspirée de la Scala de Milan) avait été notamment un cinéma porno et un cinéma d’art et d’essai.

 
« On a la chance de vivre une période où des langages musicaux très différents peuvent s’exprimer. »

 
 
 
 

Alice Ader et Philippe Hersant © Thomas O'Brien

 
Vous êtes vous même compositeur, mais quand on regarde la programmation on constate que vous ne vous mettez guère en avant ...
 
Je m’y refuse. Je m’intéresse à ce que font les autres compositeurs, et j’ai voulu les mettre en valeur à la Scala. Ce que je fais également à France Musique. On a la chance de vivre une période où des langages musicaux très différents peuvent s’exprimer. Je choisis des compositeurs aux esthétiques très différentes. Il y a cependant un compositeur que je programme chaque saison – c’est pour moi un des compositeurs actuels les plus importants. Je veux parler de Philippe Hersant, qu’on retrouvera au programme du quatrième concert du Festival 2024, le 14 octobre.
La pianiste Alice Ader confrontera des pages du dernier Liszt à trois pièces de Philippe Hersant. L’une d’entre elle est une transcription d’une composition pour chœur d’hommes et orgue à quatre mains de Liszt : Ossa arida. La grande pianiste qu’est Alice Ader, est familière de l’univers de Philippe Hersant. Elle vient d’ailleurs d’enregistrer un disque reflétant ce programme pour Scala Music, le label de la Scala.
 
 
« Avec le label Scala Music nous avons la fierté d’assumer la charge intégrale de la production et de la distribution. »
 
 
Le label Scala Music est déjà riche d’une quinzaine de références. Quelles sont axes de votre politique éditoriale ?
 
Nous avions envie, en créant ce label, de défendre les jeunes artistes, et envie de changer l’image du label classique. J’avais en tête un label mythique, ECM, qui réalise des passerelles entre différentes musiques, la musique contemporaine, le jazz, etc.
La demande des jeunes artistes est très forte, et bien souvent ils sont obligés de payer pour réaliser leurs disques. En tant que directeur artistique de la Fondation Banque Populaire, j’ai vu de jeunes musiciens « engloutir » la totalité de leur bourse dans la production d’un enregistrement. Certains labels font tout payer au musicien, y compris la distribution des disques. Nous prenons quant à nous l’intégralité des frais à notre charge. Nous sommes un « petit » label, ne produisant que cinq disques par an, mais nous avons la fierté d’assumer la charge intégrale de la production et de la distribution.

 

Impossible d’évoquer tous ces très beaux disques, mais pouvez vous nous dire quelques mots de l’album de Tom Carré, «Noctuelles », dans lequel il associe l’Humoresque de Schumann et les Miroirs de Ravel ? Comment ce projet d’enregistrement est-il né ?
 
J’avais été juré dans un concours à Roubaix. Tom Carré était un des lauréats. Il avait joué l’Humoresque en finale et  tout le monde avait été saisi. Je me suis immédiatement dit qu’il fallait lui proposer un enregistrement. Certains premiers disques de jeunes artistes sont exceptionnels – je pense notamment à ceux d’Hélène Grimaud.
A l’époque, nous n’avions pas encore nos studios – situés à Avignon, à la Scala Provence, où est basé le label – et nous devions enregistrer dans notre salle parisienne, très prise par les répétitions et représentations théâtrales. Le seul créneau possible se situait durant un week-end de Pâques, de nuit. Je garde un souvenir incroyable de cet enregistrement nocturne. Des conditions qui ont dû avoir une grande influence sur l’interprétation de Tom ...

 

Francesco Tristano © francescotristano.com 

"C'était une idée folle d'enregistrer ce disque."

 
Et puis il y a les concertos pour clavier de Bach par Francesco Tristano et un ensemble instrumental dirigé par Léo Margue. Singulier projet que ce « Bach Stage » ...
 
L’idée de Francesco Tristano était de faire dialoguer Bach avec des compositeurs contemporains. C’est la raison pour laquelle il y a pour chaque concerto une cadence écrite, l’une par Miharu Ogura, l’autre par Francesco Tristano, et la dernière par moi-même. Pour un petit label comme le nôtre, c’était une idée folle que d’enregistrer ce disque, et sans la volonté de Léo Margue nous n’y serions pas parvenus. Il a créé l’ensemble, sollicité et réuni les musiciens. Ce disque a été enregistré avec une très belle énergie.
 
Le festival « Aux Armes Contemporains » 2024 propose quatre concerts, et commence par la création parisienne d’une œuvre de Pascal Zavaro intitulée Le Carnaval de Toumaï. Une partition pour le jeune public en ouverture d’un festival de musique contemporaine ?  
 
Je souhaitais présenter une œuvre à l’attention de celui-ci. Je trouve que la musique contemporaine s’est trop éloignée de la création destinée aux enfants.
Ce concert, le 11 octobre, sera suivi le lendemain d’un récital donné par la claviériste Ninon Hannecart-Ségal. Cette musicienne a une personnalité incroyable. Et ce qui est amusant est qu’elle jouera certaines œuvres contemporaines au clavecin, et certaines œuvres du répertoire au piano… Son concert sera une sorte de cabinet de curiosité, courant d’André Thomas à José Luiz Perdigón de Paz, en passant par Bach, Lili Boulanger, Tailleferre, Filidei, Scelsi, Cavanna, Aperghis et d’autres. C’est un programme absolument délirant et Ninon Hannecart-Ségal est très impressionnante.

 

Ninon Hannecart-Ségal © Sarah Ségal 

"La Piccola Scala nous permet de tenter des expériences plus facilement." 

 
En sept années de programmation de la Scala-Paris, êtes-vous parvenu à fidéliser un public ?
 
Oui. Mais c’est très étonnant, car le public de la musique contemporaine est très éclaté, tandis que le public de la musique baroque vient à tous les concerts, est très constant. Le public de la musique contemporaine se révèle plus difficile à saisir.
Mais nous avons la chance d’avoir la grande salle et la Piccola Scala (de 120 à 180 places), qui nous permet de tenter des expériences plus facilement. Et il y a dans cette petite salle une grande proximité avec le public. Les concerts de clavecinistes y trouvent particulièrement leur place. Nous allons aussi y donner des concerts de quatuor ; le premier projet se fera avec le Quatuor Elmire.

 

Maxime Quennesson © Caroline Doutre
 
Et c’est d’ailleurs dans l’intimiste cadre de la Piccola Scala que sera donné, le 12 octobre le récital « De l’Ancien au Nouveau » du violoncelliste Maxime Quennesson ...
 
Ce musicien fait partie du Trio Zeliha (aux côtés de Manon Galy et de Jorge González Buajasan ndlr), il a un talent fou ! Il va notamment créer une œuvre de Séverine Ballon, qui était pensionnaire à la Villa Médicis. Elle-même est violoncelliste, et il m’a paru intéressant de lui demander de composer une œuvre (intitulée Ensuite) pour un autre violoncelliste. De Dall’Abaco et Bach à  Tanguy,  le programme de Maxime Quennesson est lui aussi le reflet de ce que nous essayons de programmer à la Scala.
 
Propos recueillis par Frédéric Hutmann, le 26 septembre 2024
 

Voir les prochains concerts de musique contemporaine en France <

7e Festival « Aux Armes Contemporains »
Du 11 au 14 octobre 2024
Paris – La Scala Paris
lascala-paris.fr/a-ne-pas-manquer/festival-aux-armes-contemporains-7eme-edition/
 
Photo © Armen Doneyan
 
 
 

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