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Une interview de Rosa Feola, soprano - « Gilda est une âme pure et délicate, mais avec beaucoup de personnalité. »

Du 1er au 24 décembre, la soprano italienne Rosa Feola débutera à l’Opéra de Paris dans une reprise du Rigoletto imaginé par Claus Guth. Applaudie dans le rôle de Gilda qu’elle connaît bien pour l’avoir chanté en Italie, en Suisse et aux Etats-Unis, elle sera aux côtés du baryton Roman Burdenko (Rigoletto) et du ténor Liparit Avetisyan (Duca di Mantova), sous la baguette de Domingo Hindoyan.  A quelques jours de cette première attendue, la cantatrice, enthousiaste à l’idée de rencontrer pour la première fois le public parisien, a bien voulu répondre à nos questions.
 
 
Vous débutez sur la scène de l’Opéra Bastille dans quelques jours dans le Rigoletto de Verdi ; dans quel état d’esprit vous sentez-vous et était-ce avec Gilda que vous souhaitiez vous présenter au public parisien ?

J’attentais avec beaucoup d’impatience de pouvoir faire mes débuts à l’Opéra de Paris, un lieu splendide, chargé d’histoire et de traditions et suis particulièrement heureuse que cela puisse avoir lieu avec un rôle que je connais bien, comme celui de Gilda, dans lequel je me sens très à l’aise. Cet aspect est très rassurant et me permet de ne pas ressentir trop de pression. Je suis contente de pouvoir donner au public quelque chose dont je suis fière et sûre, cela me donne plus de confiance et de sécurité. De plus, cette production de Claus Guth me permet d’aborder Gilda d’une manière différente et de l’interpréter sous un autre angle, ce qui est très enrichissant. Nous avons répété aujourd’hui la scène finale que je n’avais jamais eu l’occasion de jouer de cette façon, alors que je chante la partition depuis longtemps.
 
Vous chantez en effet ce rôle depuis 2012 : qu’aimez-vous dans ce personnage qui, à la différence d’autres rôles verdiens, ne peut pas durer toute une carrière en raison de la jeunesse de l’héroïne ?
 
C’est difficile à dire, car vocalement il n’est pas impossible de conserver jusqu’à la cinquantaine, une voix souple et légère qui permette de maintenir Gilda à son répertoire, mais nous ne sommes pas toutes pareilles. Quoiqu’il en soit nous évoluons toutes avec le temps et les expériences que nous vivons nous font grandir et cela influe nécessairement sur notre conception du personnage qui se doit d’être pur, naïf, comme peut l’être une toute jeune femme encore inexpérimentée ; un aspect sur lequel son père insiste lourdement …
 

Domingo Hindoyan © Chris Christolougou

De Zurich au Met en passant par Ravenne et Vérone, vous avez interprété Gilda dans plusieurs productions. En dehors des metteurs en scène, qui est Gilda selon vous ?

C’est une âme pure et délicate, mais avec beaucoup de personnalité ; cela se traduit musicalement dans le 1er duo avec Rigoletto où les notes éthérées, le soin apporté au legato, à la transparence, à l’impression de fragilité, la caractérisent. Pour autant sa volonté de vivre et de lutter pour sa propre liberté, progresse à mesure que le drame avance et qu’elle se met à les revendiquer. Cette attitude se sent musicalement car son caractère s’affirme de scène en scène révélant qu’elle est bien la fille de son père.

Je m’interroge souvent sur les intentions réelles du Duc, qui n’a pas beaucoup d’intérêt pour elle, mais tout de même au second acte il lui avoue furtivement qu’elle lui a élevé l’esprit et l’a amélioré, ce qui veut bien dire qu’elle a su toucher un point sensible que personne avant elle n’avait mis en avant. Sa bonté naturelle l’a donc contaminé un bref instant, pas suffisamment bien entendu pour le changer complétement, car au 3e acte, tout est oublié !

Ici à Paris vous jouez dans la production de Claus Guth qui a été créée il y a plusieurs saisons. Dans ce cas le metteur en scène est rarement présent et au mieux vous travaillez avec un assistant, au pire à partir d’une vidéo. Comment gérez-vous ces paramètres ?

Il est toujours préférable de disposer d’un ou d’une assistante ce qui est le cas ici où nous en avons une formidable, qui est capable de nous raconter les motivations de chacun des personnages, ce qui indispensable pour la compréhension générale du spectacle. Nous avons besoin d’éléments déclencheurs pour rendre nos actions crédibles et sensibles. Sur ce point regarder une simple vidéo n’est pas suffisant. Nous avons tous nos interprétations personnelles, mais lorsque nous devons traduire ce que le metteur en scène a voulu dire, il faut avoir compris ses intentions et c’est là que l’aide d’un assistant est précieuse.
 
De Verdi vous chantez Violetta et devez aborder Alice. D’un point de vue vocal, quelle est celle qui vous va le mieux, celle qui vous procure le plus de satisfaction et que vous avez envie de côtoyer le plus longtemps ?

Je ferai mes débuts en Alice Ford (Falstaff) à Milan en janvier prochain, cela devrait être amusant ; sa tessiture est vraiment différente et je vais devoir l’aborder de manière très instrumentale et c’est un défi pour moi car Verdi demande quasiment de parler dans un registre central où l’on peut facilement être perdu dans les ensembles. J’ai réfléchi avant d’accepter de quitter Nanetta pour cette femme encore avenante et séduisante et j’ai accepté cette prise de rôle comme un défi. Violetta est sans aucun doute l’héroïne que je préfère, elle représente l’étape naturelle pour succéder à Gilda : il s’agit d’une femme plus mure, qui a vécu plus d’expériences et je me sens proche de son parcours intérieur, sans pour autant être une courtisane (rires). Sa recherche de l’amour, son besoin de partager des sentiments attestent de son courage et de sa grande sensibilité. Là encore l’amour dure peu de temps... Mais cette société et cette époque qui érigent le sens de la culpabilité la font souffrir et accélèrent sa mort. Alice est bien différente, l’œuvre étant une comédie et je vais pouvoir travailler d’autres aspects du spectre verdien.
J’aimerais également me confronter à une autre figure, celle de Luisa Miller, mais dans quelques années et je ne refuserai pas I Masnadieri. Je ne sais pas si je pourrais chanter Violetta après 50 ans, cela dépendra de mon état vocal et de mes dispositions intérieures car on peut avoir 55 mais se sentir comme à 30 et avoir la voix d’une chanteuse de 70 ans à 40 ans. Tout est relatif, regardez comment était Mariella Devia à la fin de sa carrière : exceptionnelle !

Quels seront vos futures prises de rôles et les projets qui vous tiennent le plus à cœur ?

Les reines donizettiennes m’attirent énormément, je parle d’Anna Bolena et de Maria Stuarda, Mimi de La Bohème forcément, avant d’être trop âgée, mais mon rêve ultime serait d’aborder Madama Butterfly ; j’ai découvert en interprétant Liù, que la musique de Puccini était vraiment très difficile. L’investissement est considérable en termes de présence en scène et de contrôle des émotions. On peut très vite se laisser submerger par les sentiments, perdre le contrôle vocal et être écrasée par la masse orchestrale, ce qui n’est pas le cas de Violetta.
 
Et Donna Anna ?

Je n’ai pas encore eu l’occasion de la chanter mais pourquoi pas, même si je trouve le personnage très antipathique à la différence de Donna Elvira. Cette façon de demander à Ottavio un an supplémentaire pour réfléchir, montre bien à quel point elle n’est pas amoureuse. Elle se laisse sans doute le temps de trouver un autre Don Giovanni (rires).
 
Propos recueillis et traduits de l’italien par François Lesueur,  le 22 novembre 2024
 

Verdi : Rigoletto
Du 1er au 24 décembre 2024 
Paris - Opéra Bastille
www.operadeparis.fr/saison-24-25/opera/rigoletto
 
 
Photo © Todd Rosenberg

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