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Une interview de Sarah Charles (soprano) et Massimo Quarta (violoniste et chef) – Le rendez-vous de Tolède

 

 
Le 9 novembre dernier était donné en la cathédrale de Tolède – en célébration de ses 800 ans – un concert réunissant des membres du Rachmaninoff International Orchestra (RIO), le violoniste Massimo Quarta, la soprano Sarah Charles et la mezzo-soprano Natalia Krawalek. Après le Concerto en la mineur et la Chaconne de la Deuxième Partita de Bach, on a pu entendre cette très belle formation dans le Stabat Mater de Pergolèse. Un lieu magique pour un très beau programme, qui nous a notamment permis de découvrir la jeune soprano Sarah Charles. Encore élève au sein de l’Académie de l’Opéra Royal de Versailles, celle-ci a été remarquée en Belinda, dans le Didon et Enée de Purcell donné en octobre à Versailles. Quant à Massimo Quarta, élève  de Ruggiero Ricci et Salvatore Accardo notamment, son Premier Prix au Concours Paganini, en 1991, l’avait fait connaître, et pas seulement dans le répertoire du maître gênois.
 

Orchestre non permanent, le Rachmaninoff International Orchestra, créé à l’initiative de Mikhail Pletnev en 2023, année du 150e anniversaire de la naissance du compositeur russe, comprend des musiciens de l’Est et de l’Ouest de l’Europe, et se réunit chaque année sur un projet. Nombre des membres proviennent de l’Orchestre national russe (ONR), fondé en 1990 par Mikhail Pletnev – démis de ses fonctions à l’ONR par le ministère de la culture russe en 2022. L’an dernier, Pletnev et le RIO, dirigé par Kent Nagano, se sont consacrés à l'intégrale des ouvrages concertants de Rachmaninoff, ce dont témoigne un enregistrement live (EuroArts)

Juste avant le concert, nous avons pu échanger quelques mots avec Maxim Viktorov, l’un des mécènes du concert de Tolède, possesseur d’une impressionnante collection de violons. Quand nous l’interrogeons sur sa passion pour cet instrument, Maxim Viktorov nous répond « qu’elle lui est venue dans l’enfance, le violon étant pour lui l’incarnation du génie humain, ce qu’une civilisation peut créer de plus parfait. » Et puis, il n’oublie pas la prodigieuse lignée invraisemblable de grands interprètes russes, de Leopold Auer à David Oïstrakh, en passant par Nathan Milstein, Jasha Heifetz et autres Gidon Kremer. S’il prête fréquemment certains des violons de sa collection, Maxim Viktorov, tout à sa passion, n’en écoute pas moins d’autres répertoires. Côté symphonique Gustav Mahler et Igor Stravinsky lui sont particulièrement chers.

 

Natalia Krawalek (à g.) & Sarah Charles (à dr.) © DR
 
Sarah Charles, vous abordez le Sabat Mater de Pergolèse avec ce concert à Tolède ?
 
S.C.
 : Tout à fait, et c’est une œuvre que je vais à nouveau chanter, cette saison, notamment à l’Opéra de Versailles. Ce Stabat Mater fait partie de ces œuvres qui, bien qu’extrêmement connues, restent toujours déchirantes, lumineuses. On ne peut jamais s’en lasser. Certains moments sont très poignants, d’autres constituent des échappées qui confèrent beaucoup de relief à la partition.
Une des difficultés pour exécuter une œuvre dont certaines pages sont bouleversantes, et de faire passer l’émotion, qu’elle ne s’arrête pas à ce que je ressens, mais gagne le public.
En tout cas, je suis vraiment chanceuse de donner cette œuvre dans cette somptueuse cathédrale, que j’avais visitée petite. Et l’acoustique, contrairement à ce que craignais, n’est pas celle d’une « salle de bains ». On ne perd pas l’articulation.
 
Durant la répétition, je vous ai vue vous entretenir avec un des violonistes, en pointant la partition. Sur quoi portait cette discussion ?
 
Il me donnait des conseils de style, afin que nos ornementations se marient au mieux. Je devais m’adapter aux ornements du pupitre de violon. Ce travail doit également être fait avec la mezzo-soprano, car on trouve dans la partition certains moments de « frottement » entre les deux voix. J’ai été ravie de travailler avec cet orchestre, dont les membres montrent beaucoup de connivence entre eux.
 

© DR

 
Etes vous issue d’une famille de chanteurs ?

Non, mais j’ai toujours su que je voulais chanter. Je ne savais pas parler que je savais que je voulais chanter ! J’ai véritablement commencé le chant à 14 ans. Je n’ai pas fait beaucoup de musique avant. Et alors que je voulais me consacrer au jazz, mon professeur m’a fait écouter des compositeurs tels que Mozart, et là j’ai compris le chemin que je souhaitais suivre. En parallèle, j’ai fait une licence de musicologie. Cela étant, il y a un lien entre le jazz et la musique baroque. Notamment le rapport à la tradition orale, aux musiques traditionnelles, à la spontanéité, une connexion naturelle à ces traditions.
 
En ce qui concerne la gestuelle, est-il plus difficile d’être guidée par un metteur en scène ou de choisir soi-même sa gestuelle, dans le cadre d’un oratorio ou d’un récital de mélodies ?
 
Je suis encore trop jeune pour vous livrer une opinion en ce qui concerne les mises en scène. Je n’ai pas encore assez d’expérience pour me prononcer. Mais j’ai eu la chance, jusqu’à présent, de rencontrer des metteurs en scène qui m’ont permis d’élargir le champ de ma gestuelle. La question la plus importante, quand on n’est pas dirigé, est effectivement : que dois-je faire de mon corps ? J’essaie de laisser libre cours à la musique, de laisser la spontanéité à ce que je fais. Je vous répondrai plus précisément dans quelques années …

 

Massimo Quarta © DR

 Massimo Quarta, parlez nous du Rachmaninoff International Orchestra
 
M.Q. : C’est un magnifique orchestre, qui se réunit sur des projets particuliers. Des musiciens qui viennent de Russie, d’Ukraine, et de plusieurs pays européens. Il y a d’ailleurs des Français dans cet orchestre. On a l’impression qu’ils jouent toujours ensemble.
Le fait d’être violoniste me confère un avantage quand je dirige les cordes bien sûr. Je me sens très proche des instrumentistes. J’ai peut-être plus de facilité à exprimer ce que je pense être l’idée du compositeur.
 
 

© DR

Vous allez jouer et diriger des œuvres de Bach dans ce lieu incroyable qu’est la cathédrale de Tolède…
 
Et je suis très heureux d’y jouer le Concerto en la mineur de Bach, et la Chaconne de la Deuxième Partita.
Je me sens tellement proche de cette musique, particulièrement adaptée à un lieu tel que cette cathédrale. Je n’imagine pas qu’on puisse y jouer une symphonie de Brahms, par exemple. La musique baroque est très importante pour moi. Mon interprétation, dans cette musique, a beaucoup évolué avec le temps. Et puis, mon nom est tellement attaché à Paganini, que je suis heureux qu’on puisse m’écouter dans un autre répertoire.Je me souviens de la première fois où j’ai interprété le Concerto en la mineur de Bach. J’avais 13 ans.
Quant au Stabat Mater de Pergolèse, cette musique est un miracle. Il n’y a pas un passage qui ne touche au sublime, qui soit plus faible qu’un autre.
 
Vous sentez-vous plutôt héritier de Ruggiero Ricci ou de Salvatore Accardo, qui furent deux de vos maîtres ? Votre son me rappelle ce dernier.
 
Notre lien est peut-être l’amour du bel canto … Et puis, je suis constamment à la recherche du son que j’ai dans la tête. Je sens un son dans ma tête ; il part de mon cerveau et passe par mon âme : l’archet doit exprimer cette idée.
 
Propos recueillis par Frédéric Hutman, le 8 novembre 2024

 

 

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