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​Une interview de Vlad Bogdanas, altiste du Quatuor Danel – L’histoire d’une vie

 
Après une première intégrale des quinze quatuors de Chostakovitch sortie en 2005 (Alpha Classics), le Quatuor Danel en signe une deuxième pour Accentus music, encore plus accomplie, enregistrée en public à Leipzig en 2022. Vlad Bogdanas (
photo), altiste, qui a intégré le quatuor en 2005, juste après l’enregistrement du premier cycle, nous parle de l’importance de celui-ci au sein de la littérature pour quatuor en général, et pour le Quatuor Danel en particulier. Comme lui, le violoncelliste Yovan Markovitch, qui a rejoint le quatuor en 2014, n’était pas du premier enregistrement, à la différence des violonistes Marc Danel (premier violon) et Gilles Millet (second violon), membres « historiques » d’une formation fondée en 1991.

Après la Suisse et le Festival International Chostakovitch de Gohrisch du 27 au 29 juin, on retrouvera le Quatuor Danel en France aux Jeudis Musicaux en Pays Royannais, le 11 juillet, puis dans le cadre de La Grange aux Pianos, les 13 et 14 juillet, avant que les quatre instrumentistes ne s’envolent pour la Finlande et son prestigieux Festival de musique de chambre de Kuhmo.

 
Cette deuxième intégrale a été captée en février et mai 2022 dans la Mendelssohn-Saal du Gewandhaus de Leipzig. Quelles circonstances vous ont amenés à l’enregistrer en ce lieu, de surcroît en public ?
 
Cela faisait un moment que nous avions pour projet de réenregistrer cette intégrale. Ces œuvres constituent une des bases de notre répertoire. Notre interprétation évolue sans cesse, et Yovan Markovitch et moi n’étions pas du premier enregistrement. L’idée s’est concrétisée à Taipei. Nous venions de donner en concert le cycle entier des quatuors de Chostakovitch. La personne qui organisait les concerts nous a suggéré d’entreprendre une nouvelle intégrale. Quant au choix de Leipzig, il est dû à notre ami Tobias Niederschlag (directeur du bureau des concerts du Gewandhaus de Leipzig et directeur artistique des Journées internationales Chostakovitch de Gohrisch) lequel nous a servi de relais.
 

Le Quatuor Danel ( de g. à dr. : Vlad Bogdanas, alto ; Gilles Millet, violon 2 ; Marc Danel, violon 1 ; Yovan Markovitch, violoncelle) © Marco Borggreve

 
« Valentin Berlinsky a énormément compté pour le Quatuor Danel. »

 
Les quatuors de Chostakovitch ont accompagné le quatuor Danel quasiment dès sa création puisque le premier cycle a été joué en 1992, un an après la naissance de l’ensemble …
 
Oui, et le quatuor a du reste reçu l’enseignement de Valentin Berlinsky (1925-2008), violoncelliste du Quatuor Borodine (fondé en 1945), et de membres du Quatuor Beethoven (fondé en 1922-23). Valentin Berlinsky a énormément compté pour le Quatuor Danel.
Et même si je suis arrivé en 2005, j’ai eu la chance de jouer avec lui le Sextuor « Souvenir de Florence » de Tchaïkovski. Nous avons travaillé avec lui d’autres œuvres russes, notamment le 3e Quatuor de Tchaïkovski.
 

Valentin Berlinsky (1925-2008) © DR
 
Dans le texte qui accompagne cette intégrale Chostakovitch, une réflexion de Marc Danel m’a frappé. Selon lui, la compréhension musicale d’un répertoire n’a rien à voir avec le pays d’origine de l’interprète. Cela va à l’encontre de certains clichés.
 
Oui, mais c’est aussi parce que le quatuor a reçu l’enseignement de figures, telles que des membres du Quatuor Borodine (V. Berlinsky, M. Kopelman), ou du Quatuor Beethoven, lui aussi lié aux quatuors de Chostakovitch. Donc ils ont transmis un langage, même si ce sont deux traditions très différentes, les Beethoven offrant peut être une vision plus romantique de ces œuvres, et le Quatuor Borodine donnant presque une interprétation devenue canonique.

 

Accentus music - 6 CD ACC80585

« Les quatuors de Chostakovitch sont beaucoup plus autobiographiques que les symphonies. »

 
Quand vous consacrez un programme de concert, exclusivement à des quatuors de Chostakovitch, comment les sélectionnez-vous ? Il n’y a pas, comme chez Beethoven par exemple, des périodes qu’on peut clairement définir. Existe-t-il plutôt une continuité ?
 
Dès que nous en avons la possibilité, nous préférons donner l’intégrale, en un week-end par exemple. Ces quatuors racontent l’histoire d’une vie, et sont associés à des événements particuliers dans l’existence du compositeur. Le Premier est ainsi lié à la naissance de son fils Maxim. Ils sont souvent dédiés à des proches de Chostakovitch, par exemple Mieczysław Weinberg (1919-1996). Lequel, du reste, a commencé à composer des quatuors à 18 ans, alors que Chostakovitch commença bien plus tardivement. Et puis, ils sont beaucoup plus autobiographiques que les symphonies.
En fait, nous pourrons composer en programme en partant d’une œuvre, en considérant, par exemple, que le 5Quatuor peut parfaitement terminer un concert, et en organisant le programme autour de cette œuvre.
Et puis, nous avons pris l’habitude, quand nous donnons le 15e et dernier quatuor, de donner en bis, le mouvement initial du 1er Quatuor. La boucle est ainsi bouclée.
 
Qu’est ce qui fait que cette musique nous bouleverse tant ?
 
Il n’y a pas de réponse unique. Comme chez Beethoven, on trouve une conscience très forte de la forme. On pourrait considérer qu’il y a la même relation entre les quatuors de Beethoven et de Schubert qu’entre ceux de Weinberg et de Chostakovitch. La musique de ce dernier procure un effet immédiat sur l’auditeur, mais en même temps cette musique est d’une grande richesse.

 

© Marco Borggreve

 
Vous évoquez Weinberg. Souvent, quand on évoque sa musique, on fait référence – à tort – à celle de Chostakovitch.
 
A tort, effectivement, mais c’est en partie lié à leurs liens d’amitié. Weinberg est souvent apparu comme un épigone de Chostakovitch. De son vivant, sa musique était pourtant jouée par les plus grands interprètes, Oïstrakh, Richter et beaucoup d’autres. Après sa mort, en 1996, sa musique a connu une sorte de purgatoire. Il faut dire qu’elle est particulièrement exigeante, techniquement, pour les interprètes. Chaque œuvre est un challenge. Nous avons enregistré l’intégrale de sa production pour quatuor, et nous aimerions l’enregistrer à nouveau, car lors de ce premier enregistrement, certaines partitions étaient quasi inédites, et nous souhaitons vraiment remettre cette œuvre sur le métier. Pour certains quatuors, le travail s’était fait directement sur des copies de manuscrits. Le matériau est dorénavant beaucoup plus accessible et nous devons y revenir.
 
Vous avez évoqué l’enseignement prodigué au Quatuor Danel à ses débuts par de grandes figures. Et maintenant, vous considérez vous comme des passeurs ?
 
Avant de répondre à cette question, je précise qu’outre les noms que nous avons déjà cités, - au premier rang desquels il faut vraiment mettre Valentin Berlinsky - il convient d’évoquer des membres du Quatuor Amadeus, ou encore Walter Levin (premier violon du Quatuor LaSalle ndlr) et des membres du Quatuor Parrenin. Nous avons recueilli un enseignement très précieux, et essayons de transmettre cet héritage.

 

Dimitri Chostakovitch (1906-1975) © DR

 
« Quand je suis arrivé au sein du Quatuor Danel, j’ai dû apprendre une quarantaine de quatuors en quelques semaines. »

 
Vous-même avez toujours baigné dans l’univers du quatuor ?
 
Mon père est membre du Quatuor Enesco. Ma mère est violoniste, et enseigne. J’ai toujours été fasciné par le quatuor. Je viens d’une autre école que les membres du Quatuor Danel, notamment celle du Quatuor Vegh par mon père. Et quand je suis arrivé au sein du Quatuor Danel, j’ai dû apprendre une quarantaine de quatuors en quelques semaines, et notamment ceux de Chostakovitch.
 
A titre personnel, avez-vous des rêves de répertoires, pas encore abordés par le Quatuor Danel ?
 
Le répertoire est tellement large que les rêves ne manquent pas. J’ai un amour particulier pour les quatuors d’Enesco (Vlad Bogdanas est né en Roumanie, et vit depuis l’âge de 2 ans et demi en France ndlr). Nous avons joué son Octuor, et le Quintette avec piano. J’adorerais un programme Brahms, Fauré, Enesco – qui fut élève du Français. Et qui vécut en France.
 
Y a-t-il une grande évolution technique et stylistique entre le premier et le dernier quatuor de Chostakovitch ?
 
Ce qu’il faut souligner est à quel point cette musique est bien écrite. Et ce dès le Premier Quatuor, composé en 1938, le dernier datant de 1974. Cette musique est très agréable à travailler. Elle est très transparente et d’une grande pureté harmonique.

 

© Marco Borggreve
 

« Le 8e Quatuor comporte à un degré inégalé de perfection, les ingrédients des autres quatuors. » 
 
Dans l’interview qui accompagne le coffret, vous dites que votre quatuor préféré est le Treizième. Pourquoi ?
 
Ce quatuor, composé en 1970, est dédié à Vadim Borisovsky, altiste qui avait quitté le quatuor Beethoven en 1964. Cette œuvre est un vrai défi, en particulier pour l’alto. Elle se termine par quasiment deux minutes d’alto solo. Un de ses mouvements fait référence au jazz. C’est, comme le 15e Quatuor, une musique qu’il faut avoir beaucoup expérimentée sur scène. Il y a une utilisation très contemporaine des instruments. Cela reste dans le langage de Chostakovitch, mais ce quatuor est tout de même à part du fait de ces innovations.
 
Pourquoi, selon vous, le 8e Quatuor, composé en l'espace de trois jours en 1960, est il le plus joué ?
 
Peut-être parce qu’il comporte à un degré inégalé de perfection, les ingrédients des autres quatuors ? Il est d’une construction extraordinaire, d’une très grande profondeur. Ses thèmes sont très marquants, il comporte cette fameuse valse sarcastique. Et il dégage une émotion incroyable !
 
Propos recueillis par Frédéric Hutman, le 19 juin 2024
 

- Agenda du Quatuor Danel
www.quatuordanel.eu/events/?lang=fr
 
 - Jeudis Musicaux en Pays Royannais /11 juillet 2024
 www.royanatlantique.fr/agenda/jeudis-musicaux-2024-quatuor-danel-corme-ecluse/
 
 - La Grange aux Pianos / 13 & 14 juillet 2024
 www.la-grange-aux-pianos.com/

Photo © Marco Borggreve

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