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Véronique Le Guen et Alain Pochet à Saint-Séverin – Hommage à Michael Lonsdale – Compte-rendu

 

Acteur, écrivain, metteur en scène, peintre, Michael Lonsdale (1931-2020), né et mort à Paris, vécut enfant à Londres puis grandit au Maroc. Si de retour à Paris il n'eut qu'une adresse : place Vauban, face au Dôme des Invalides, ce fut pourtant Saint-Séverin qui, parmi les églises parisiennes, joua dans son parcours spirituel un rôle essentiel, source de mystère assurément plus sensible que ne pouvaient l'être l'Église des Soldats ou Saint-François-Xavier dans son quartier de résidence. Jusqu'à faire de lui un paroissien du Quartier latin – ses funérailles eurent lieu à Saint-Roch, paroisse des artistes, parce que l'église Saint-Séverin était trop petite. Elle lui rendit un premier hommage dès 2020, un autre devant suivre, projet bousculé par le Covid. Reprogrammé puis reporté, ce concert-lecture-projection chaleureusement évocateur a finalement eu lieu le 9 avril, devant un public émerveillé et touché mais, malheureusement, bien trop peu nombreux.
 

Alain Pochet © Olivier Allard
 
Pour ce deuxième concert de printemps de Plein Jeu à Saint-Séverin, Véronique Le Guen (photo), titulaire avec Christophe Mantoux et François Espinasse de cette tribune renommée, était associée à Alain Pochet, acteur dont la route, durant ses études au Conservatoire de Bruxelles, croisa celle de Michael Lonsdale. Pendant que des photos étaient projetées – signées Paul de Larminat, qui collabora avec Lonsdale pendant plus de trente ans – mais aussi un extrait de film-portrait en noir et blanc permettant d'entendre la voix du jeune Michael Lonsdale, textes et images prenant ici la forme d'un témoignage de fidélité et de compagnonnage, chœur et tribune alternaient textes, de Lonsdale lui-même, et œuvres musicales : Bach et Buxtehude, les modernes français. Toutes intuitivement inspirées à Véronique Le Guen par les textes empruntés à trois ouvrages de Lonsdale (certaines méditations ne manquant pas d'interroger ou de mettre à l'épreuve la foi du croyant) : En chemin avec la beauté (2012/2019), Mes étoiles (entretiens avec Patrick Scheyder, 2018) et Il n'est jamais trop tard pour le plus grand Amour (2016). Le tout s'organisait en sept chapitres d'une étonnante continuité et fluidité en termes de climat, sans hiatus stylistique.
 
L'espérance : à un poème d'Alain Suied (extrait de Le pays perdu) fit suite Vers l'espérance, n°3 des Poèmes (2002) de Thierry Escaich, chapitre liminaire dynamisé par la rythmique si caractéristique du compositeur. Le sens de la vie fut illustré par le triptyque de Valéry Aubertin Sonatine pour les étoiles (1994, du Livre ouvert op. 6, « premier livre d'orgue » du compositeur) : Matière célesteSouviens-toi de ce soir de pluie et de rosée où les étoiles devenues comètes tombaient vers la terre (vers provenant de Sirène-Anémone de Robert Desnos, du recueil Corps et biens) – Épilogue planétaire. Une musique d'une intimité, d'une humanité et d'une profondeur idéalement restituées par le raffinement des timbres de l'orgue Kern. À La confiance firent écho une phrase de Lonsdale : « La confiance, c'est mon tempérament », et Von Gott will ich nicht lassen BWV 658 de Bach (des Chorals de Leipzig), le jeu d'une allante et communicative assurance de l'interprète disant combien cette confiance va positivement de l'avant, portée par la manière personnelle, franche et intense dont témoigne Véronique Le Guen, au service seul de la musique.
 

L'orgue de Saint-Séverin © Mirou

Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus et les fleurs : pour illustrer l'émerveillement devant la création et l'attention portée à la nature, furent réunis Jean-Louis Florentz : extrait méditatif de ses Laudes op. 5 (1985), Le chant des fleurs, puis Jehan Alain : Le Jardin suspendu – l'émerveillement de l'auditeur devant les capacités de renouvellement de l'orgue-caméléon de Saint-Séverin ne fut pas moindre, chaque pièce trouvant le timbre-intention juste par la grâce de l'interprète. Le chapitre intitulé Le peintre Georges Rouault et ses gravures du Miserere, exposées dans la chapelle Mansart de Saint-Séverin depuis 1992 (1) et projetées pendant l'audition, confronta Bach et Aubertin : saisissant Erbarm dich, o Herre Gott BWV 721 et Miserere introductif du Livre ouvert op. 6 évoqué plus haut, parallèle avec Rouault particulièrement éloquent.
 
L'évocation de La mort fit sienne la sérénité du Cantique de Syméon, dans la paix et la joie : Mit Fried und Freud ich fahr dahin BuxWV 76 de Buxtehude, cependant que La pensée de Johann Sebastian Bach, sur laquelle Michael Lonsdale s'était penché, marqué par l'indifférence des contemporains de Bach envers son génie, offrit une conclusion en apothéose : Toccata dorienne et fugue en mineur BWV 538, d'une carrure allant avec grandeur à l'essentiel, Véronique Le Guen restituant de façon lumineuse la structure de ce diptyque puissamment contrasté, sans jamais surjouer, pour encore plus de plénitude.
 
Outre les auditions du samedi à 17 heures – Mélodie Michel (30 avril), Charlotte Dumas (28 mai) et Jan Sprta (25 juin) – ainsi qu'une Fête de la musique ! le 19 juin avec les élèves de la classe de Françoise Dornier au Conservatoire du 5e arrondissement, signalons que les deux derniers concerts en soirée de Plein Jeu à Saint-Séverin permettront d'entendre, le 15 mai dans la série Jeune talent et aîné, Philippe Brandeis (Saint-Louis-des-Invalides) et Alexis Grizard (étudiant au CNSMD de Paris), puis le 11 juin Arvid Gast, titulaire des orgues de la célèbre Jakobikirche de Lübeck.
 
Michel Roubinet

Paris, église Saint-Séverin, 9 avril 2022

 
(1www.fondationavenirpatrimoineparis.fr/actualite/eglise-saint-severin-ve-la-chapelle-mansart-et-georges-rouault/

Photo © Depêche du Midi

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