Journal
Vincent Dubois ouvre la saison d’orgue Notre-Dame de Paris – Somptueuse inauguration – Compte rendu
Après les concerts de la Maîtrise Notre-Dame de Paris des 17 et 18 décembre, retrouvant avec bonheur sa tradition de spatialisation des effectifs – aux deux extrémités de l’édifice : sous le grand orgue, devant le Vœu de Louis XIII au fond du sanctuaire, sur presque toute la longueur des bas-côtés gauche et droit puis enfin tous réunis sous la croisée –, le premier récital sur l’orgue restauré concentrait toute l’attention sur un seul point, la tribune ouest. Toujours trop haute (au grand dam de Cavaillé-Coll), l’orgue toujours au-delà de l’arc de décharge (en fait entre les tours), ce qui entrave en partie sa projection, mais toujours aussi fascinant par ce mélange de distance et d’étrange proximité, modulée selon les familles de jeux : les fonds s’épanouissent pleinement dans tout l’espace quand les différents degrés de tutti semblent moins envelopper l’auditeur, l’équilibre s’étant déplacé, en regard du Cavaillé-Coll, en faveur d’anches, mutations et mixtures dominantes et d’une projection égalisée.
Extrême et cinglante modernité
Pour ce récital inaugural, Vincent Dubois, titulaire depuis 2016, offrit un programme tout simplement grandiose, interprété de même, dédié à des œuvres de musique française en lien intime avec Notre-Dame de Paris. La soirée permit d’entendre tout d’abord l’une des deux Symphonies mal-aimées (pas autant que la « wagnérienne » Cinquième) de Louis Vierne, qui sera aussi très présent dans les récitals suivants (ainsi que Pierre Cochereau) : la monumentale Sixième (1930). Difficile de concevoir cet a priori négatif, si ce n’est en vérifiant, sous les doigts prodigieux de Vincent Dubois, l’extrême et cinglante modernité de cette partition dramatique et survoltée (combat de titans de l’Allegro risoluto initial) mais aussi gorgée de lumière.
© Klara Beck
Maître en dramaturgie
Si l’œuvre fut donnée en première mondiale à New York en 1932 par Carl Weinrich, la première française le fut à Notre-Dame le 3 juin 1935 par Maurice Duruflé, qui aimait particulièrement la somptueuse Aria – il y entendait un cri du cœur à travers lequel Vierne évoquait son douloureux destin. Le diabolique Scherzo, Apprenti sorcier pour orgue en plus caustique et presque maléfique, est le plus sidérant de Vierne. L’Adagio, « profonde méditation » (Duruflé) au langage harmonique riche et douloureux – Vincent Dubois, comme sur l’ensemble de la soirée, se montrant maître en dramaturgie, modulant éclairages, perspectives et relations internes des plans sonores, usant avec adresse de toute la palette de l’orgue actuel sans dénaturer, bien entendu, l’esthétique symphonique d’une telle œuvre – offre l’extatique bien que très mouvante halte nécessaire avant l’irruption d’un Final extraordinaire de dynamique acérée, et de beauté thématique dans une section centrale lyrique, couronné d’un irrésistible quintuple appel de quinte ascendante, dans toute la lumière de si majeur. Œuvre magistrale, ainsi que le public captivé de Notre-Dame n’eut aucune peine à s’en convaincre.
Tout l’esprit de Florentz
S’ensuivit le Prélude à L’Enfant noir op. 17 (2001, « à Jacques Taddei ») de Jean-Louis Florentz, commande des Concours Internationaux de la Ville de Paris et de Musique nouvelle en liberté pour le 4e Concours d'Orgue de Paris, seule page ayant pu voir le jour avant le décès du compositeur. Le projet, d’après le livre (1953) de l’écrivain guinéen Camara Laye (1928-1980), prévoyait douze pièces avec prélude et postlude. Olivier Latry avait joué cette page envoûtante lors du concert d’inauguration de l’orgue restauré, en 2014 (1), occasion d’entendre des jeux de mutations rarissimes (Neuvième 3 5/9, Onzième 2 10/11) comme pensés pour Florentz – l’orgue de Notre-Dame était pour lui l’instrument idéal de sa musique. Périple inouï, initiatique, aux couleurs et senteurs d’une Afrique poétiquement idéalisée, animé d’un souffle mystérieux, ensorcelant et idéalement en situation en ce lieu, l’interprète donnant vie et esprit à la moindre intention de Florentz.
Une assistance subjuguée
La Suite op. 5 (2) de Duruflé refermait ce récital d’apparat, avec ses trois mouvements si formidablement contrastés les uns par rapport aux autres, mais aussi en eux-mêmes au gré d’une construction mouvante et complexe. L’extraordinaire Toccata fit se lever l’assistance subjuguée pour une ovation spontanée. D’une énergie inépuisable et d’une fraîcheur inentamée, Vincent Dubois offrit un « petit » bis : Toccata transcrite du Tombeau de Couperin de Ravel… Un lancement véritablement somptueux de la saison d’orgue !
Michel Roubinet
Notre-Dame de Paris, 21 janvier 2025
https://musique-sacree-notredamedeparis.fr/boutique/concert/24-25/recital-dorgue-vincent-dubois/
Vincent Dubois
www.vincent-dubois.com
(1) www.concertclassic.com/article/inauguration-de-lorgue-restaure-de-notre-dame-de-paris-fallait-il-pour-autant-lagrandir
(2) Un CD vient de paraître chez Solstice : Michel Chapuis, André Isoir, Xavier Darasse mais aussi Odile Pierre en concert à Notre-Dame. Cette dernière y fait entendre, en 1977, la Suite de Duruflé, sur un instrument, celui de Vierne revu par Cochereau, qui n’est plus aujourd’hui tout à fait le même, devenu moins « symphonique français », plus « contemporain universel ».
orgues-nouvelles.org/dans-le-cadre-des-auditions-dorgue-du-dimanche-ils-ont-joue-a-notre-dame-de-paris/
Photo © DR
Derniers articles
-
24 Janvier 2025Laurent BURY
-
24 Janvier 2025François LESUEUR
-
23 Janvier 2025Laurent BURY