Jean-François Novelli sera bientôt à l’Athénée dans le Ô mon bel inconnu de Hahn et Guitry que la maison de Louis Jouvet met à l’affiche du 7 au 16 avril : il y tiendra le rôle de Jean-Paul, métamorphosé en M. Victor au dernier acte, avec une cocasserie que saluait Laurent Bury lors de la création du spectacle à Tours en décembre dernier. (1) Cette actualité offre l’occasion de rappeler la sortie, il y a quelques semaines, du CD que le ténor a signé avec Maude Gratton pour Klarthe Records.
Un disque imaginé durant le confinement ? La crise sanitaire n’a pas toujours aussi bien inspiré les interprètes : il faut saluer l’originalité d’un enregistrement guidé par une curiosité et une cohérence qui promettent de ravir tous les amoureux de mélodie. L’attirance des compositeurs pour la musique et la poétique anciennes a amené la chanteur et la pianiste à imaginer, sous le titre « Vous souvenez-vous ? », un programme en trois chapitres : La poétique ancienne, l’attachement à l’antique et le « à la manière » des XVIIe et XVIIIe siècles.
 

Maude Gratton © maudgratton.fr
 
Parmi la bonne vingtaine de pièces retenues, on trouve certes quelques noms bien connus, Gounod (Ô ma belle rebelle), Ravel (les Deux Epigrammes de Clément Marot), Poulenc (Priez pour la paix), Fauré (Mandoline), Saint-Saëns (Menuet) et Hahn (quatre des Etudes latines), merveilleusement servis, mais c’est tout autant pour la rareté de bien des compositeurs présentés qu’il faut découvrir un disque qui, avec deux délectables mélodies d’Eugène Sauzay (1809-1901 – du Ier Empire à la IIIe République, quelle vie !) sur des vers de Marot et Charles d’Orléans, invite à un voyage plein de « charmes secrets », pour reprendre les mots de Nerval dans Fantaisie, le poème que Jean-François Novelli place en exergue d’un très complet (et très personnel) texte de présentation.
 

Raoul Laparra (1876-1943) en 1931 © Wikipedia.org

Le ténor a voulu que des mélodistes oubliés prennent place à part égale avec les auteurs célèbres sur son disque. Bien lui en a pris : outre les beautés des Sauzay, on cède à la prégnante poésie d’un admirable D’Indy (Madrigal à la mode ancienne), d’Arthur Metzner (18 ??-1914), de Louis Pitte et, très bien – et  fort légitimement – représenté, de Raoul Laparra (1876-1943). Oublié, le compositeur bordelais, auteur de La Habanera, opéra qui lui valut un considérable succès en 1908 à la salle Favart, se révèle ici mélodiste raffiné au fil de cinq morceaux, sur des vers de Charles d’Orléans, Du Bellay ou La Fontaine, pour un tendre et ondoyant J’ai quelquefois aimé, entre autres – l’amour de la belle inspire nombre de pièces du programme.
 

 Merveilleuses découvertes que l’on goûte d’autant plus que Jean-François Novelli leur apporte un goût et un tact infinis, trouvant toujours la couleur requise dans le jeu de Maud Gratton (sur deux pianos Erard d’époque, 1848 et 1900). Loin du pathos cœur sur la main, des « gros sentiments du cinématographe » que raillait Wanda Landowska, l’univers musical raffiné, intensément français, abordé par le ténor pourrait aisément verser dans la préciosité, la mignardise. Pas un seul instant, la chanteur ne prête le flanc à quelconque reproche en la matière au fil d’un enregistrement conçu et réalisé avec un amour artisanal.

Quant à sa conclusion, c’est avec le temps présent et l'univers de la chanson qu’elle rime : trois pièces, signées Xavier Béraud, Juliette et Edouard Ferlet (auquel Maude Gratton cède ponctuellement la place pour une rêveuse Eurydice), referment un enregistrement qui ne saurait faire défaut aux mordus de mélodie française. Puissent Jean-François Novelli et Maud Gratton ne pas s’arrêter pas en si bon chemin et poursuivre l’exploration du répertoire qu’ils ont commencé à défricher ! La matière est si riche ...