Journal
Werther au Théâtre des Champs-Elysées – Huis (plus ou moins) clos – Compte rendu

Mais qu’attendaient-ils ? Que voulaient-ils, ces spectateurs qui ont hué la production de Christophe Loy, ce samedi soir au TCE ? Certes, en guise de décor unique, un grand mur percé d’une porte vitrée, dont l’ouverture et la fermeture laissent entrevoir une autre pièce, c’est un peu austère, mais on ne va pas à Werther pour y trouver du spectaculaire, la procession des cinquante ans de mariage du pasteur étant bien l’unique instant qui pourrait autoriser un peu de pittoresque.

© Vincent Pontet
Finesse de la direction d'acteurs
Et puis, un demi-siècle après l’entrée de l’œuvre au répertoire de l’Opéra de Paris, qui veut encore voir sur scène cette nature qu’invoque le héros (quelques plantes en pot, ici) ou la neige tomber au dernier acte quand la musique suffit à la faire imaginer ? Par ailleurs, le spectacle ne manque pas d’élégance, l’action étant transposée dans les années 1950 – on se croirait presque dans Loin du paradis, de Todd Haynes, ou dans une des premières mises en scène de Robert Carsen. Alors pourquoi ces huées pour Christophe Loy et son équipe ? Est-ce parce que Sophie cesse d’être une gamine un peu tête-à-claques pour devenir une pauvre fille à qui la frustration sexuelle finit par faire perdre la boule, l’air du Rire virant à la crise de nerfs ? Est-ce parce que l’ultime duo a ici deux témoins, la susdite Sophie qui bascule dans la névrose, et Albert qui déchiffre interminablement les lettres de Werther que Charlotte lui a jetées au visage avant de partir rejoindre celui qu’elle n’a jamais cessé d’aimer ? Rien ne va à l’encontre du livret, rien ne paraît excessif dans une direction d’acteurs très fine, alors quoi ? Werther porte même habit bleu et gilet jaune, comme le veut la tradition… Est-ce au contraire qu’il leur aurait fallu du plus trash, à ces spectateurs mécontents ? Auraient-ils voulu un Werther dans le 9-3 ou à Chicago ?

> Voir l'interview de Marc Leroy-Calatayud <
Prestesse et allant de la baguette
L’unanimité semble en revanche s’être faite autour de la dimension musicale de la soirée. Dans la fosse, Les Siècles donnent à entendre des instruments comparables à ceux de la création de l’œuvre (rien que des cordes en boyaux, nous assure-t-on), et surtout Marc Leroy-Calatayud opte pour une lecture preste, où tout s’enchaîne – les applaudissements après « Pourquoi me réveiller ? » seront la seule interruption du discours – et l’allant de sa baguette nous change agréablement de ces versions où la mort du héros se dilue dans une agonie qui n’en finit pas, même si le Noël des enfants du bailli en paraît un rien accéléré, en coulisses. Ces applaudissements qu’on vient de mentionner saluent la prestation de Benjamin Bernheim, superbe Werther, déclamateur hors-pair (écoutez son « Oui ! C’est moi ! Je reviens ! » au troisième acte) qui joue avec maestria de la demi-teinte et de la voix de tête, non sans faire preuve de puissance par ailleurs.

> Voir l'interview de Benjamin Bernheim <
Dans la meilleure lignée de l’opéra-comique français
Tout cela est bien sûr dosé, calculé, à cent lieues des romantiques méridionaux et nerveux ou des beaux ténébreux barytonnants, mais ce Werther-là s’inscrit dans la meilleure lignée de l’opéra-comique français. Ni matrone ni ogresse, Marina Viotti a les justes dimensions vocales de Charlotte et rend totalement crédible la métamorphose de l’héroïne, de bonne épouse presque placide en femme passionnée. Jean-Sébastien Bou est un luxe en Albert, tout comme Marc Scoffoni offre enfin un bailli très fringant, là où l’on entend parfois des artistes à bout de souffle. La Sophie de Sandra Hamaoui, à la voix très couverte, rompt avec les coloratures d’antan, mais si le personnage perd un peu en fraîcheur, il y gagne en épaisseur dramatique. Yuri Kissin et Rodolphe Briand forment un percutant tandem Johann-Schmidt, et les enfants de la Maîtrise des Hauts-de-Seine sont irréprochables.
Laurent Bury

> Voir l'extrait "Va !, laisse couler mes larmes" par Marina Viotti, Charlotte <
Jules Massenet, Werther – Paris - Théâtre des Champs-Elysées, 22 mars ; prochaines représentations les 25, 28, 31 mars, 3 & 6 avril 2025 // www.concertclassic.com/concert/werther-2
Photo © Vincent Pontet
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