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William Forsythe et Johan Inger au Palais Garnier – Métamorphoses surprenantes – Compte-rendu

 
 
Où en est le ballet classique à ce jour ? Portée par notre prestigieuse compagnie, la succession de dérives brillantes qu’offre le singulier spectacle de réouverture chorégraphique au Palais Garnier fait qu’on se pose la question : sans rien qui choque véritablement, mais avec une interrogation à la clef, où est l’émotion dans cette série de quêtes de symétrie, d’asymétrie, de bascule, de mignardises à l’ancienne que viennent brouiller des gestiques structurées comme des robots. Tout se brouille dans ce programme ouvert en grande pompe académique avec le glorieux Défilé du Ballet et de l’Ecole, augmenté cette année du Junior ballet, récente création, pour marquer l’attachement joliment militaire aux valeurs classiques et hiérarchiques et battu vigoureusement par une nouvelle venue de la fosse, la Slovène Mojca Lavrenčič.

 

Défilé du Ballet © Julien Benhamou - OnP

Tradition impressionnante mais qui se mue ensuite en une fantaisie où tout s’embrouille, le Word for Word de l’Américain My'Kal Stromile : jolis tutus, signés Chanel, ports de bras distingués, élégance, semblant de pas de deux traditionnels sur fond de borborygmes électroniques signés Jerome Begin, qui vrillent les oreilles et placent les danseurs dans des contrastes étranges, où plus rien n’a de sens. Heureusement on a plaisir à retrouver Valentine Colasante (photo à g.) et Hannah O’Neill, même si elles ne sont pas très bien mises en valeur, et les fringants Guillaume Diop (photo à dr.) et Rubens Simon, complétés de l’époustouflant Jack Gasztowtt.
 

Rearray (chor. W. Forsythe) © Ann Ray - OnP 
 
 Puis vient le solide emprunt à William Forsythe, l’un des dieux contemporains du déséquilibre et de la syncope, virtuose sans contexte, qui manœuvre les corps comme des balanciers déréglés, et dont l’Opéra a fait l’un de ses chorégraphes préférés, surtout depuis un certain In the Middle Somewhat elevated, en 1987. Oui, mais il y avait Sylvie Guillem, Isabelle Guérin, Laurent Hilaire, etc… De quoi faire passer n’importe quelle guillotine. Le choc fut grand devant cette nouvelle liberté, cette  dureté, où le corps n’était plus que provocation strictement dynamique, comme le roulement d’une locomotive. Là, avec Rearray, qui fut créé pour Guillem et Le Riche à Londres en 2011, et remanié pour ce programme, on retrouve un peu de cette force à la fois primitive et sophistiquée, mais, elle manque d’épure, de charisme chez les danseurs, que l’on distingue d’ailleurs difficilement, car ils ne sont plus que profils mécanisés.
 
Blake Works I (chor. W. Forsythe)

 
Enfin, contraste marqué avec toujours du même Forsythe, Blake Works I sur les musiques sirupeuses du populaire James Blake, avec tuniques gracieuses et esthétique de calendrier. Elégant, souriant, brillant, et totalement soporifique, dans ses tentatives pour jouer la carte d’une danse à la fois langoureuse et piquante. Le mélange ne prend pas.
 

Impasse ( chor. Johann Inger) © Agathe Poupeney - OnP 
 
En revanche, un peu plus de force expressive avec Impasse, signé du très mode Johan Inger, qui fit un Carmen barbouillé mais puissant, et un remarquable Petrouchka. Cette fois, il brosse une saynète en forme de parabole sur notre monde en train de se ratatiner : une maisonnette, un trio joyeux qui en sort en gambadant, puis un déferlement d’intrus, diables ou personnages de cirque, qui font peu à peu basculer l’horizon des trois protagonistes, d’abord séduits par ces nouveaux modes, et se retrouvent à la fin face à une maison devenue naine, ayant perdu leur joie de vivre. Inger a le sens du spectacle, du narratif même, bien que juste esquissé dans cette pièce, il aime les hurlements, et n’a pas toujours très bon goût. Mais au moins livre-t-il un message, et sait-il brosser des tableaux qui saisissent. Les danseurs ont joué le jeu avec une force convaincante, une vitalité qui en vient à s’étioler devant le vide qui s’empare d’eux. Le tout sur la belle, colorée et violente musique d’Ibrahim Maalouf, laquelle ne s’égare pas dans des remises en questions sans réponses. Mais le titre, hélas, Impasse, en dit long : miroir du monde, miroir aussi de la danse dite classique, en regard du défilé d’ouverture proposée par cette Ecole emblématique de valeurs à exploiter. Mais comment ?  
 
Jacqueline Thuilleux

 

 
 William Forsythe - Johan Inger – Paris, Palais Garnier 4 octobre ; prochaines représentations les 9, 10, 11, 18, 19, 25, 26, 27, 31 octobre & 3 novembre 2024. Seules les représentations des 9 et 10 octobre sont précédées du Défile du ballet et de Word for Word // www.operadeparis.fr/saison-24-25/ballet/william-forsythe-johan-inger
 
Photo ©

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