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« Ballet Trilogy » par Simon Rattle et le London Symphony Orchestra – L’heure du magicien – Compte rendu

Exceptionnelle rencontre que celle, en un seul concert, des trois partitions majeures de la période bleue de Stravinski, et surtout sous la baguette du plus inspiré, du plus original des chefs contemporains, Sir Simon Rattle (photo) : toutes trois issues de l’imaginaire russe, et dont les Ballets de Diaghilev firent trois moments clefs de leur histoire et de l’histoire de la danse tout court. Tamara Karsavina y fut le plus délicieux Oiseau qui se put rêver, ainsi qu’une exquise poupée dans Petrouchka. Vaslav Nijinski tint avec le pantin Petrouchka le rôle le plus déchirant de sa carrière. Quant au Sacre du Printemps, on sait quel fut son retentissement tapageur, dont l’odeur de scandale fut vite effacée. Tous chefs d’œuvre qui allaient ensuite en inspirer d’autres durant le XXe siècle, et surtout à Maurice Béjart, qui en signa les trois plus belles versions et notamment son Sacre, inégalé.
 
Rattle, on le sait, aime la danse, et plus encore il aime Stravinski, dans lequel il trouve cette riche concentration de modernité et de tradition, cette complexité rythmique et surtout ces couleurs qu’il aime à faire miroiter. De retour chez les siens avec le LSO, ce qu’il a tiré de cette formation plutôt tranquille est proprement stupéfiant, et l’orchestre lui-même en est conscient, qui applaudissait à tout rompre le tour de force du chef.
 
Impossible d’oublier l’Oiseau de feu, où Rattle fait scintiller les feuilles des arbres, frémir les ailes des oiseaux, grimacer les démons, chatoyer la somptuosité des vêtements des princesses. Tout se déroule de façon  surprenante, le chef cueillant les sonorités de l’orchestre (excellente flûte notamment) comme les pierres précieuses d’Aladin, prenant tout son temps pour en faire admirer les reflets, jouant avec le tissu orchestral comme avec une mousseline, donnant du rêve à pleines mains. Du coup les souvenirs scéniques disparaissaient quelque peu au profit de cet album de contes de fées, dont Rattle tournait les pages avec une jubilation totale : un effet de surprise radical, un apport majeur, qui nous fait découvrir ce que nous croyions connaître.
 
De la délicate aquarelle, voici le fusain aux traits larges et forcés, pour le caricatural et poignant Petrouchka,  qui dérange dans sa candeur blessée et son rictus tragique. Là, Rattle, devenu Coppelius, a déclenché une pluie d’effets contrastés, de tableaux intimes, inquiétants ou foisonnants pour la Semaine grasse, où les instruments rutilaient, en une évocation à la fois lourde et bigarrée de la Sainte Russie.
 
Version plus classique pour le Sacre du Printemps, cette bible de la modernité et de la violence musicale dans son acception la plus sophistiquée. Là aussi, le déchaînement rythmique qui régit les paramètres sonores, la pulsation fondamentale jusqu’au paroxysme final, mais avec des contours moins tranchés, moins secs que ceux de quelques versions réputées d’anthologie, comme celle de Boulez. La lecture la plus claire qui soit dans ses irrégularités de structure. Le seul reproche que l’on puisse faire ici au maître britannique, c’est que  trop  amoureux de l’écriture de Stravinski, il ne parvient pas à être tout à fait barbare et à plonger tête baissée dans le monde archaïque qui sous-tend la vision du compositeur.
 
Reste à dire à nouveau combien le LSO a fait des prodiges (à l’exception d’une trompette, un peu perdue, mais cela n’est pas grave, pour les provocations du Sacre) afin d’embrasser au mieux les directives si peu banales du chef. Fuseau plus que baguette, Simon Rattle, l’enchanteur, ferait faire de la dentelle aux hommes de Néandertal.  
 
Jacqueline Thuilleux

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Philharmonie de Paris, le 22 septembre 2017

Photo © Monika Rittershaus licensed to Emi Classics

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