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La Damnation de Faust au Teatro dell’Opera di Roma – Une damnation 2.0 – Compte-rendu
Ce jeune homme choisi sans doute pour son inaptitude au bonheur et à l’insertion sociale, sorte d’Hamlet des temps modernes, souffre au quotidien de ne pouvoir vivre simplement. Marqué par une enfance difficile, partagé entre l’amour d’une mère qu'il revoit en songe et un père alcoolique qu’il se représente en rat pendant la fameuse chanson, Faust est une proie facile pour Méphisto, aux commandes d’un effrayant concept.
Rythmé en courtes séquences pareilles aux stations d’un chemin de croix aux titres évocateurs (la veillée, l’attente, la trahison, la damnation), le spectacle visuellement superbe, mélange les techniques, multiplie les angles et propose une lecture imaginative où tout semble être sous contrôle. Traqué jusque dans ses souvenirs, Faust périra – comme la présence d’un lit d'hôpital et d'un cercueil l'attestent – non sans avoir été à nouveau humilié par ses camarades de classe pendant une Marche Hongroise où il est cruellement bizuté, et avoir aimé Marguerite, abusée elle aussi par Méphisto, mais qui assistera aux obsèques de cet être de laboratoire.
Avec ces projections d’images vidéo, ces couloirs latéraux masqués par des portes coulissantes ouvrant sur d’infinies perspectives, ces incrustations de tableaux, notamment celui du Jardin d’Eden de Cranach l’Ancien, ce chœur tout droit sorti d’une église dont les rangs s’élèvent au-dessus de la scène jusque dans les cintres et ces murs recouverts de rideaux noirs visqueux, l’imposant décor de Paolo Fantin impressionne par sa puissance visuelle et son onirisme.
Adolescent attardé, mal dans sa peau, incapable de trouver sa place dans une société hostile, Pavel Cernoch (qui succédait récemment à Jonas Kaufmann dans Don Carlos à la Bastille) traduit physiquement très bien la fragilité de son personnage : vocalement l’instrument manque d’ampleur (malgré la légère amplification installée à l’avant-scène jardin le soir de la dernière, le 23 décembre), l’aigu est serré, la diction française est confuse et l’expression insuffisamment fouillée.
Dans son rôle de corrupteur-séducteur-manipulateur, Alex Esposito fait des merveilles, tantôt attirant, tantôt irritant ; il se joue de Faust par pure provocation et pour son seul plaisir. Aussi crédible et saisissant dans son costume blanc que dans son déguisement de serpent, le chanteur use de tout son art pour caractériser ce diable moderne et sexué, dans un français très compréhensible, sa longue voix passant sans difficulté du charme à la perversité. Veronica Simeoni défend avec conviction une Marguerite juvénile et sensible, victime elle aussi de ce terrible « show » dont elle se remettra difficilement.
Dans la fosse enfin, la direction très raffinée de Daniele Gatti s’impose dès les premières mesures, la lecture extrêmement détaillée, l’attention portée sur la transparence du tissu orchestral, comme sur les interventions chorales, magistrales et le refus de toute grandiloquence, accompagnant admirablement une production, dont il ne faudra pas rater les reprises prévues à Valencia et à Torino.
François Lesueur
Photo © Yasuko Kageyama – Teatro dell’Opera di Roma
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