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Chaplin de Mario Schröder par le Ballet de l’Opéra du Rhin – Coup d’éclat, coup de fraîcheur – Compte-rendu
C’est toute une vie d’artiste qui s’offre aux chanceux spectateurs de l’Opéra du Rhin : la fusion entre un chorégraphe encore mal connu, et la concrétisation de son idéal sous forme de ballet: avec Chaplin de Mario Schröder, formidable danseur-acteur et à ce jour directeur du Ballet de Leipzig, où il a créé quelques pièces maîtresses comme sa récente Passion selon Saint-Jean, c’est un peu comme le Nijinski de John Neumeier, mais sur un tout autre ton. Une obsession, un rêve qui a porté une vie.
Mario Schröder © Andreas Birgkigt
Le Chaplin de Schröder, 52 ans qui en paraissent 40, c’est l’évocation poétique, fine, cocasse, allurée, d’un être fabuleux qui ne demandait qu’à divertir et bouleversait autant qu’il faisait rire : une chorégraphie souple et inventive, où rien ne semble forcé, de la grâce et de la poésie, en même temps que le coup de scalpel indispensable pour cerner la profondeur des personnages et des situations. En séquences où le héros est dédoublé en Chaplin-Charlot (très joli tandem Marin Delavaud- Céline Nunigé) et où défilent quelques-unes des silhouettes qui ont marqué son parcours, comme la divine Paulette Godart, outre quelques moments clefs de ses films, il évoque les drames et les succès fulgurants du génie, en qui Béjart voyait le plus grand danseur du monde. Pour Schröder, ce n’est pas très différent. Il a fait ce ballet avec passion, superbement servi par des danseurs qui se sont pris au jeu, il en parle avec pudeur. Chaplin vu par son double. On découvre.
On connaît peu votre parcours en France ?
Mario SCHRÖDER : En fait j’ai eu l’occasion de créer une pièce pour le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines lorsque Pierre Moutarde en était le directeur, mais j’y suis peu venu. Ma première vie m’a tenu dans une Allemagne de l’Est clouée sous le joug soviétique puisque je suis né en 1965, et l’aspiration à la liberté, comme pour Chaplin, a guidé ma vie dans ces dures années. J’ai eu heureusement la chance d’être formé à Dresde, à l’Ecole de Gret Palucca (grande prêtresse de l’expressionnisme allemand, avec Mary Wigman, ndlr). J’y ai appris la vérité du geste, mais j’y ai aussi reçu une formation classique parfaitement rigoureuse, de style russe, avec une touche de Bournonville. Ma rencontre avec Uwe Scholz, qui dirigea le ballet de Leipzig jusqu’à sa mort en 2004 et fut le grand chorégraphe que le monde a célébré, fut ensuite déterminante dans mon désir de création. J’eus donc une première compagnie à Wurzburg, puis à Kiel avant de m’installer à Leipzig, dont je dirige la troupe depuis 2010.
© Agathe Poupeney - OnR
Comment ce Chaplin nous arrive t-il ?
M.S. : Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra du Rhin depuis cette saison, avait vu le ballet en 2010 lors de sa création à Leipzig et il ne l’a pas oublié. Il souhaite ainsi ouvrir le public régional et français à d’autres signatures qui lui étaient inconnues. Les chorégraphes allemands vont pouvoir franchir des barrières ! A Leipzig, le ballet a beaucoup plu d’emblée. Il a même amené à la danse des gens qui croyaient n’être pas concernés par elle.
Comment cette passion pour Chaplin vous est elle venue ?
M.S. : Tout enfant, j’étais fasciné par ses films, mais je n’ai jamais tenté de l’imiter, ni surtout de me mettre en scène moi-même dans le rôle. Je l’ai d’ailleurs toujours pensé pour une fille, en ce qui concerne Charlot proprement dit. Chez un homme, il aurait été difficile de retrouver cette sensibilité et l’incarnation aurait été artificielle. Et donc, lorsque ma mère a voulu me faire entrer à la Palucca-Hoschule, pour canaliser mon énergie, sans doute, je lui ai demandé : « Qu’est ce qu’un danseur de ballet ? ». Réponse : « un peu comme Charlot ». Plus tard, lorsque j’ai dû écrire mon mémoire de fin d’année sur un artiste ayant marqué l’histoire de la danse, j’ai choisi Charlot ! Les professeurs n’en voulaient pas mais la directrice, Gret Palucca, a été d’accord. Dès lors, l’idée n’a cessé de me hanter jusqu’à cette version définitive, précédée d’une autre que j’ai créée à Kiel, considérablement modifiée depuis, et dont il existe aujourd’hui une copie : mais je ne dirai pas laquelle !
© Agathe Poupeney - OnR
Comment définiriez vous ce génie si singulier et pourtant en phase avec les codes du mouvement de l’époque, au cabaret ou au music-hall ?
M.S. : Par ce mélange bouleversant de fragilité et d’irréductible joie de vivre, cette façon de changer de tonalité en un éclair. Je suis particulièrement sensible au Dictateur, aux Temps modernes et à La ruée vers l’or. Et lorsque nous avons créé le ballet, Géraldine Chaplin est venue à Leipzig, où elle a donné sa pleine adhésion au ballet, et notamment au choix d’une fille pour la silhouette centrale. Ce fut un bonheur et une immense fierté.
En dehors de divas, comme Sasha Waltz et auparavant Pina Bausch, nous commençons à découvrir les chorégraphes allemands, comme Stephan Thoss et Marco Goecke. Vous situez vous dans un nouveau mouvement ?
M.S. : Je ne le ressens pas ainsi. Je suis juste moi-même, et je ne peux parler que de cela. J’ai surtout la chance de pouvoir projeter mes émotions sur la scène, de me prolonger grâce aux autres. C’est un luxe inouï qui m’enrichit constamment. Pour ce qui est du style, je garde un peu le chausson à pointe, à condition que celle-ci ait une signification précise pour le rôle auquel je l’assigne, car rien n’est naturel en elle. Pour le reste, tout m’inspire, le spectacle de la rue, la vie qui passe et nous apprend chaque jour quelque chose d’autre. Et j’aime traiter des sujets que je peux développer dans le temps, de façon approfondie, plutôt qu’en pièces courtes. Quant à la musique, majeure dans mon travail, je puise dans tout, que ce soit dans les classiques ou les modernes, la baroque ou la techno, l’opéra et les romantiques, Brahms ou Schnittke, comme ici, pour la bande enregistrée qui accompagne Chaplin. Mais Bach est évidemment un Dieu, hors du temps et de l’espace. Récemment, je me promenais dans Jérusalem avec sa musique dans mes écouteurs. C’était indescriptible comme émotion. Et si j’ai choisi sa Passion selon Saint-Jean pour mon dernier ballet, c’est qu’elle s’adresse à chacun de nous, directement. Enfin, autre géant qui m’inspire, Stravinsky : je vais à mon tour m’attaquer au Sacre du Printemps en février à Leipzig. Un rude défi pour moi qui connaît les plus fameuses versions, de Béjart à Bausch !
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 12 janvier 2018 Photo @ Agathe Poupeney — OnR
Chaplin (chor. Mario Schröder) - Opéra de Strasbourg, le 12 janvier 2018, prochaines représentations à Mulhouse (La Filature) les 2, 3 et 4 février 2018. / www.operanationaldurhin.eu/danse-2017-2018--chaplin-ballet-opera-national-du-rhin.html
Photo @ Agathe Poupeney — OnR
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