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Cédric Tiberghien – Retour à Chopin
Le pianiste ne néglige pas pour autant le répertoire romantique comme le prouve le somptueux programme Chopin (Préludes op. 28, Sonate « Funèbre », Scherzo n° 2) sorti il y a peu chez Hyperion (1). Après un Szymanowski et des Bartók à ranger parmi les références majeures du catalogue, il retrouve donc Chopin, auteur auquel il a déjà consacré deux albums enregistrés en 2006 et 2010 pour Harmonia Mundi (les Ballades couplées avec celles de Brahms, association aussi étonnante que convaincante, et un programme « Mazurkas », non moins réussi). (2)
« J’éprouve un réconfort à revenir à Chopin régulièrement, confie l’interprète. » Un compositeur dont la musique, les Préludes en particulier, le relie à la période de ses études au Conservatoire de Paris auprès de Gérard Frémy (1935-2014), maître admiré qu’il ne manque jamais de saluer. « Deux œuvres m’ont servi de laboratoire d’expérimentation alors que j’étais en 3ème Cycle : les Etudes de Debussy, pour trouver de nouveaux sons, de nouvelles textures, et les Préludes de Chopin, que j’ai travaillés de manière très approfondie.»
Violence et colère en musique
Le pianiste n’a guère hésité lorsqu’il s’est agi de mettre en chantier un nouveau disque Chopin ; fort de son intime connaissance de l’ouvrage, l’Opus 28 s’est immédiatement imposé à lui. Ces Préludes qu’il a beaucoup joués en concert, soit dans leur continuité, soit de manière « composée » – procédé qu’il affectionne – en intercalant des Ephémères de Hersant ou des études de Debussy, Szymanowski et Bartók entre les maillons du cycle.
Pour l’enregistrement, les Préludes ont été associés à la Sonate « Funèbre » et au 2ème Scherzo : la cohérence historique – le séjour à Majorque (hiver 1838-1839) et les mois qui suivirent– va de pair avec une grande unité de caractère. « Partout la noirceur et la violence sont présentes », souligne un interprète qui tient les Préludes pour « l’œuvre de Chopin où l’on trouve la violence et la colère les plus directes. Une colère qui sait rester contenue, intérieure, enfermée, avec un sentiment d’urgence qui va croissant », jusqu’à l’ultime Prélude en ré mineur où il ressent « plus une lutte contre quelque chose qu’un emportement très rapide. » Perception on ne peut plus juste, illustrée par une interprétation souverainement dominée, concentrée et servie par une palette de couleurs peu ordinaire.
Bientôt Liszt sur un piano "superlatif"
Tiberghien a il est vrai pu compter une fois de plus sur sa « garde rapprochée » : Andrew Keener (direction artistique) et Simon Eadon (ingénieur du son), des partenaires avec lesquels il travaille en toute confiance depuis ses débuts chez Hyperion. Après l’enregistrement du CD Chopin (en décembre 2016), le pianiste a d’ailleurs retrouvé ce duo fin 2017 pour mettre en boîte un programme Liszt (bâti autour de la 3ème Année de Pélerinage) qu’on attend d’autant plus impatiemment qu’il a été capté sur un instrument hors du commun ; un prototype Yamaha que le facteur japonais à spécifiquement mis au point pour Tiberghien en partant d’un CFX : « un piano superlatif, avec une variété de couleurs et une réserve du puissance extraordinaires ; je n’ai pas eu de surprise aussi forte depuis très longtemps. » Belle découverte en perspective en cours d’hiver prochain !
Rencontre d’exception autour d’Apollinaire et Poulenc
Pour l’heure, outre le CD Chopin, on se délecte du récital « Histoires naturelles », enregistré en concert à l’Athénée en janvier 2017 avec le baryton Stéphane Degout pour le jeune label B-Records.(3) Qui s’assemble ... « Je partage beaucoup de points communs avec Stéphane, confie Tiberghien (né en 1975 comme Degout ndr), musicaux bien entendu, mais dans bien d’autres domaines aussi, à commencer par les plaisirs de la table. Nous avons emprunté le titre du disque à Ravel et Jules Renard, mais le cœur du programme est Poulenc et peut-être plus encore Apollinaire. Nous avons eu le coup foudre pour sa poésie et éprouvé une extase commune face à ses textes. On se situe bien au-delà d’une simple entente musicale ; il est rare que des rencontres de ce type se produisent. La voix de Stéphane est très colorée et joue avec les plus subtiles inflexions, c’est inspirant pour le pianiste et nous nous sommes je pense mutuellement apporté. »
En écoutant ce disque admirable, réalisé presque à la fin d’une tournée dont il recueille tous les fruits, on comprend l’envie de Degout et Tiberghien de poursuivre leur collaboration.
Une symbiose absolue
Dans le domaine instrumental, une relation déjà ancienne unit le pianiste français à Alina Ibragimova. C’est en 2005, dans le cadre du programme BBC New Generation Artists, qu’il a rencontré la violoniste russe, de dix ans sa cadette. «Notre duo a été cimenté par l’intégrale des Sonates de Beethoven en concert (le label Wigmore Live en garde la mémoire ndr). Schubert en venu ensuite, et nous avons continué on ne peut plus naturellement avec Mozart ; l’accomplissement de notre duo (le cinquième et dernier double album de cette intégrale est disponible chez Hyperion ndr).
Un duo que Tiberghien décrit comme « une symbiose absolue. » « Nous respirons de la même façon, nous prenons les risques de la même façon ; j’ai encore pu le mesurer durant la longue tournée de quatorze concerts que nous avons entreprise au Japon en octobre dernier. »
Une riche actualité discographique
Après avoir enregistré il y a peu, les Sonates de Franck et Vierne et le Poème élégiaque d’Ysaÿe, Ibragimova et Tiberghien confieront bientôt aux micros les Sonates de Brahms. Et bien d’autres envies se font jour pour des musiciens bien décidés à « explorer tous les recoins du répertoire » - jusqu’à la création contemporaine, en passant par Cage ou Crumb.
Activité discographique très chargée donc pour un pianiste qui a aussi enregistré le 1er Concerto de Beethoven avec l’Orchestre National d’Île-de-France et Enrique Mazzola. Une version que l’on s’impatiente de découvrir tant le résultat en concert (en 2013) avait séduit (4) ; elle sera disponible en octobre prochain parallèlement à la clôture (par le 3ème Concerto) du cycle Beethoven avec les musiciens franciliens.
Enfin, si le seul enregistrement actuellement disponible du pianiste et de François-Xavier Roth (à la tête de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège) dans des pages de Franck (Variations symphoniques, Les Djinns) date de 2009 (5), on se réjouit de voir se développer la collaboration des deux artistes. Après les Prom’s en août 2017, ils ont remporté un nouveau succès à Londres en début d’année, dans la Fantaisie de Debussy, et sont bien décidés à ne pas en rester là.
Pour l’heure c’est en soliste que Tiberghien a rendez-vous avec Paris, ce dimanche 18 mars au Théâtre des Champs-Elysées, dans les Préludes op. 28 de Chopin et la Wanderer Fantaisie de Schubert. Et notez dès à présent que le pianiste sera de retour, à la Seine Musicale le 4 juin prochain, avec l’Aurora Orchestra pour un 13e Concerto de Mozart dirigé par Nicolas Collon. (6)
Alain Cochard
(Entretien avec Cédric Tiberghien réalisé le 4 janvier 2018)
(2) « Ballades » Harmonia Mundi HMC 901943 // « Mazurkas » HMC 902073)
(3) B-Record LBM009 (Avec la participation d'Alexis Descharmes et Matteo Cesari pour les Chansons madécasses de Ravel)
(4) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/enrique-mazzola-cedric-tiberghien-et-londif-beaux-commencements-compte-rendu
(5) Cyprès CYP 7612
(6) www.laseinemusicale.com/spectacles-concerts/insula-orchestra_e80
Cédric Tiberghien, piano
Œuvres de Chopin et Schubert
18 mars – 11h
Paris – Théâtre des Champs-Elysées
www.theatrechampselysees.fr/saison/recital/concerts-dimanche-matin/cedric-tiberghien
Photo © Jean-Baptiste Millot
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