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Mother’s milk par la Kibbutz Contemporary Dance Company – Liens du sang – Compte-rendu
L’impression première étant que l’on comprend mal l’enchaînement des séquences, leur fil conducteur, même si l’on est sensible à l’intensité des évolutions et des émotions qui habitent les danseurs. L’histoire de la compagnie vaut qu’on s’y attache : elle vient des sources de l’Etat d’Israël, de son déchirement, de son errance, et enfin de son enracinement dans sa vieille terre promise. Et c’est une rescapée des camps de la mort, la Tchèque Yehudit Arnon, qui créa la KCDC. Jeune fille, elle avait refusé de danser pour les nazis: ils la laissèrent gelée dans la neige, attendant la mort. Et dans cette épreuve terrible, elle fit vœu de consacrer sa vie à la danse, si elle en sortait vivante. Ce qui fut le cas. Elle s’installa alors dans le kibboutz de Ga’aton, dans les collines de Galilée, dont elle fit le village de la danse, avec plusieurs heures par semaine consacrées à la faire pratiquer par les kibboutzim.
Aujourd’hui, l’identité du village et de la compagnie s’est affirmée puisqu’elle rayonne sur le (petit) monde international de la danse et que des stages permettent d’accueillir au kibboutz une centaine de danseurs en résidence. A preuve, lorsque le spectacle commence, on voit un visage asiatique, puis deux, puis trois, donner le la de cet internationalisme d’une danse que le prestige de la danse israélienne contemporaine a magnifiée. Quant à Rami Be’er, sexagénaire qui dirige aujourd’hui la compagnie, c’est un personnage attachant dont le père fut à l’origine du concept de Kibboutz, et lui-même est né à Ga’aton, où sa vocation de danseur s’affirma après le violoncelle de son enfance. « Son travail, dit il, privilégie l’individu au sein du groupe, oblige à une descente en soi de la part de ses interprètes et souhaite proposer un voyage où chacun va retrouver sa propre histoire ». On devine aisément que malgré sa grande force, le propos reste un peu à la porte de ce rêve.
© Eyal Hirsch
Sous un grand lustre, mais pieds nus, enchaînant soli ou duos, ponctués de quelques interventions vocales, les danseurs scandent des rythmes brutaux, obsessionnels, sur la plus sauvage, la plus lourde des transes contemporaines, puis fusionnent, rayonnent sur Bach, se tendent, nous tendent des bouffées d’un passé que nous devinons à grand peine, même si l’on sait qu’il évoque les affres subies par les parents de Rami, leur amour, son amour. Tous ces corps semblent noyés sous la force de leurs émotions et les ensembles, parfois séquencés comme des vestiges de danses sacrées, font tourner des pages d’album dont nous ne maîtrisons pas bien la teneur.
Reste, surtout, qu’il y a là une superbe démonstration d’invention chorégraphique, de richesse gymnique, psychologique, communautaire, plastique pour finir, où chacun trouve sa place et dont chaque élément serait à citer. Parmi les danseurs les plus mis en vedette, on reconnaît notamment Martin Harriague, créateur du récent Sirènes pour le Malandain Ballet Biarritz (1), dont la chorégraphie, avec une patte plus lisible que celle du maître Rami Be’er, au passé débordant, n’en porte pas moins la marque puissante de cette danse toute d’énergie, jamais calmée, qui résonne comme une grande cérémonie du souvenir sous forme de puzzle éclaté. On aime, mais on cherche beaucoup. Et l’on prend encore en pleine figure la force de cette danse israélienne, qui est en train de conquérir la planète danse.
Jacqueline Thuilleux
(1) Lire le CR : www.concertclassic.com/article/reverie-romantique-de-thierry-malandain-la-magie-des-sources-compte-rendu
Théâtre de Paris, 13 juin, prochaines représentations les 15, 16 et 17 juin 2018. www.theatredeparis.com
Photo © Eyal Hirsch
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