Journal
9ème Biarritz Piano Festival – Splendide clôture – Compte rendu
Pianiste lui-même – et ancien élève d’Henri Barda au CNSMDP –, Thomas Valverde, directeur artistique, était on ne peut mieux armé pour conduire la manifestation qu’il a fondée au succès. Sa curiosité envers la génération montante, française ou étrangère (le Biarritz Piano Festival a été parmi les premiers à inviter un artiste tel que Kotaro Fukuma par exemple), envers des artistes rares sur nos scènes, apporte à l’affiche du BPF une fraîcheur et une originalité plus qu’appréciables. A côtés de Lise de la Salle ou Jean Rondeau, Frederico Colli, Maroussia Gentet, le Duo des frères Jussen, Evegeni Bozhanov, Alexandre Kantorow et Henri Barda, entre autres, figuraient à l’affiche de la 9ème édition
Des interprètes rares chez nous ? C’est le moins que l’on puisse dire de Severin von Eckardstein (photo), pourtant Premier Prix du Concours Reine Elisabeth en 2003. On n’a donc pas hésité un instant à prendre le chemin de Biarritz, ce d’autant que l’artiste allemand – 40 ans tout rond – a inscrit à son programme un ouvrage splendide et méconnu : La maison dans les dunes (1907-1909) de Gabriel Dupont (1878-1914).
Fin de matinée, rotonde de l’Espace Bellevue, vue imprenable sur l’océan – et magnifique Steinway ! ; comme on rêverait d’en croiser plus souvent à Paris ... – : des conditions idéales pour savourer les beautés d’une partition que le compositeur écrivit en grand partie durant sa convalescence à Arcachon. Brève rémission en fait car la tuberculose n’allait pas tarder à l’emporter.
Après l’univers clos des Heures dolentes (1903-1905), l’autre grand recueil pianistique de Dupont, plus inégal toutefois, le ton change avec La maison dans les dunes. De l’aube au crépuscule au bord de l’océan, pourrait-on sous-titrer cette réalisation surmontée d’un exergue emprunté à Nietzsche : « Seul avec le ciel clair et la mer libre ». Du Dans les dunes, par un matin clair introductif jusqu’aux Houles conclusives, les dix pièces du recueil sont toutes animées par la grande respiration de la nature – ici sur un mode tendre, méditatif, recueilli (admirable n°9, Clair de lune), là virtuose et lumineux (le n° 6, Le soleil se joue dans les vagues, constituant le sommet sur ce registre).
Une respiration que S. Von Eckardstein fait sienne avec des moyens techniques remarquables et une riche palette sonore. Couleurs franches, jeu d’une extrême mobilité (il en faut, ô combien !, pour respecter les multiples changements de tempo et indications de caractère qui parsèment la musique ) : on aime ce rejet tout flou « impressionniste », cette clarté des plans sonores ; en bref l’exactitude poétique avec laquelle l’interprète rend parfaitement compte de l’art d’un créateur qui sut trouver sa voie entre Debussy et Ravel. Il souligne bien aussi la singularité d’un langage dont le titre du n° 5 de cette Maison dans les dunes traduit parfaitement les ambiguïtés : Mélancolie du bonheur.
Public comblé par la découverte de l’ouvrage de Dupont (1) et que Von Eckardstein gratifie en bis de la Ronde champêtre de Chabrier – rondement menée !
Les meilleures choses ont une fin : quelques heures plus tard le public se presse pour le concert de clôture du 9ème festival, confié à Nobuyuki Tsujii. Aveugle de naissance, l’artiste japonais, trentenaire cette année, avait fait sensation en 2009 en remportant la Médaille d’or du Concours Van Cliburn.
Andante spianato et Grande Polonaise brillante : le sens du cantabile s’impose d’emblée dans un premier volet chantant et point trop alangui, tandis que le second montre l’aptitude à habiter le trait avec une fluidité admirable – et une forme d’innocence dans le propos.
Après la brillance du jeune Chopin, place à la tendresse et au rêve avec un Clair de lune de Debussy tout dans le timbre, immatériel, qui, à l’instar d’une rêveuse Pavane pour une infante défunte de Ravel, montre une palette de couleurs très nuancée. Les Jeux d’eau du Français assument sans complexe leur dette envers Liszt sous des doigts qui s’élancent bientôt dans la fameuse Campanella. Jamais dévoyée, la virtuosité de cet inoxydable morceau est continûment mise au service d’une interprétation aussi visuelle que narrative. Dès que Tsujii pose les mains sur le clavier, il raconte et sait entraîner l’auditeur dans son monde intérieur avec une évidente envie de lui procurer du bonheur. Le tonnerre d’applaudissements et le rappel sur lesquels se referme la première partie montrent à quel point il y parvient.
Fête des rythmes et couleurs jazzy attendent le public après la pause. Les Trois Préludes de Gershwin sont enlevés avec plénitude sonore et énergie bien dosée, avant que N. Tsujii – qui ne manque décidément pas de souffle – ne parte à l’assaut de l’intégralité des 8 Etudes de concert op. 40 de Nikolaï Kapoustine. L’ivresse digitale, l’imagination sonore et le plaisir contagieux avec lesquels il enlève – ou dévore à belles dents, comme on voudra – ces ébouriffantes pages déclenchent une longue standing ovation. Quatre bis (Adagio sostenuto de la Sonate « Clair de lune » de Beethoven, Etudes « Tristesse » et « Révolutionnaire » de Chopin et composition de N. Tsujii, de veine très enka, en hommage aux victimes du Tsunami de 2011) couronnent le récital d’un musicien aussi attachant que généreux.
Rendez-vous en 2019 pour un 10e Biarritz Piano Festival qui promet de ne pas manquer d'attraits !
Alain Cochard
(1) Excellente nouvelle, signalons que Severin von Eckardstein allemand a enregistré (pour le label Artalinna) une remarquable version de La maison dans les dunes qui sera disponible dès la fin septembre. (1 CD ATL-A020)
Photo © severin-eckardstein.de
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