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L’étoile Karl Paquette fait ses adieux à l’Opéra de Paris dans Cendrillon – La fête, jusqu’au bout
Beau gosse, donc, chic et clarté rayonnante, bien qu’il ait affectionné des rôles sombres qui lui permettaient d’approfondir son art, Paquette a tout fait et bien fait dans cet Opéra de Paris qui est sa deuxième maison depuis la prime enfance. Récemment en vif marin de Robbins dans On the Town, il a porté les plumes sombres du méchant Rothbart du Lac des Cygnes, mais aussi le pourpoint du prince, si perdu et si douloureux dans sa quête d’idéal. Il a bondi gaiment en Basilio de Don Quichotte, battu divinement l’entrechat en Oiseau Bleu, ébloui en Phénix de l’Oiseau de Feu, ému en Roméo, en Armand Duval, en Albrecht de Giselle. Une gamme d’expressivité, une virtuosité sans faille, une vigueur convaincante lui ont permis de laisser sa marque sur les incarnations les plus variées.
Des défauts aussi, qu’il a transformés en qualités, sur les conseils de deux maîtres très aimés, Patrice Bart, et Max Bozzoni, lequel dut dire la même chose à Patrick Dupond, dont l’éclat solaire faisait oublier les imperfections: « j’ai des genoux et des pieds qui ne correspondent pas aux critères classiques, et au début j’en étais obsédé. Grâce à mes maîtres, j’ai pris conscience qu’ils me donnaient une partie de ma force». Une force admirée de tous ses camarades, et précieuse pour une compagnie dont l’excellence technique mène souvent les étoiles à des accidents. Un souvenir marquant à cet effet : « un jour, j’avais répété la Bayadère en tant que doublure, avec aucun projet scénique à la clef, mais un engagement forcené. Le lendemain, à midi, on m’annonce que je remplace le soir même José Martinez, souffrant ! Choc formidable, mêlant la griserie au stress. Je ne sais comment je l’ai dansé, mais je l’ai dansé, et cela forme, assurément ». Ce genre d’expérience s’est répété souvent avant sa nomination d’étoile, le 31 décembre 2009.
Le secret de cette adaptation et de cette forme infaillible, ou presque, un facteur génétique, dit il, une discipline de fer, une vie aussi équilibrée que le permet ce métier, un facteur chance aussi. En fait ce garçon a eu toutes les chances, et surtout celle, majeure, de savoir les saisir, de les peser, d’en savourer la richesse, sans ménager ses admirations et ses efforts. Chance d’avoir des parents, qui à cent lieues du milieu de la danse, et malgré les réserves en usage, (professeurs tous deux, avec un père normalien), ont soutenu ce tempétueux gamin dans son impérieux désir de danser, chance d’être possédé par cet amour fou pour la ballet classique, et pour les lieux où il l’a reçu : « je suis le dernier danseur de l’Opéra à avoir travaillé, tout jeune, au Palais Garnier, car j’ai fait la transition avec l’Ecole de Nanterre. J’étais juste au tournant ! » L’ambiance magique de ce lieu imprégné d’histoire m’a fasciné... Chance aussi d’avoir une belle famille, deux enfants, que j’élève sans écrans, car ce qui me trouble dans la nouvelle génération, danseurs ou pas, c’est ce besoin forcené d’avoir la réponse avant même la question, de vouloir tout avoir, tout de suite, sans jamais prendre le temps de désirer, de chercher ».
Le Lac des Cygnes © ADeniau-Onp
Chance aussi de ne pas se laisser déborder par les passages à vide, par exemple lorsque Benjamin Millepied favorisa à l’excès une nouvelle génération, le laissant ainsi souvent pour compte. Chance d’avoir travaillé avec Béjart, l’un de ses dieux : «j’ai compris que son style, c’était pour moi et il m’a fait découvrir la force expressive d’un corps intensément présent même s’il est presque immobile », avec John Neumeier, du Songe d’une nuit d’été au Chant de la Terre, sans parler de la Dame aux Camélias, qui lui a fait peser aussi combien il était important de savoir diffuser l’émotion avec une esquisse de geste plus qu’avec pirouettes et cabrioles. Chance d’avoir paru en Kourbski, le scintillant et fourbe prince d’Ivan le Terrible, de Grigorovitch. Chance d’avoir travaillé aux côtés de Nicolas Le Riche, son aîné, qui l’éblouissait dès l’école, et rêvé de lui ressembler.
Emerveillement devant Baryschnikov, son chic, son aisance souveraine, son charisme. Plaisir d’arpenter le répertoire dans tous les sens : d’être à la fois le Prince de Giselle et le bûcheron Hilarion, qui doit dégager une intense souffrance sans beaucoup danser. Chance d’avoir eu des maîtres qui l’ont, dit il, élargi, de Patrice Bart et Max Bozzoni, à Jean Guillaume Bart, chance d’avoir pu travailler avec Pina Bausch, découverte en 1997, et qui lui a ouvert un monde inconnu dans la façon de vivre son corps en scène.
Un trait de caractère majeur ? La joie de vivre, répond-t’il, tout en sachant que la transition ne sera pas forcément évidente. Peu importe, cet enthousiaste bienveillant et désireux de transmettre, a déjà en projet, très avancé, le désir de montrer aux enfants l’essentiel des grands ballets classiques. Trajectoire heureuse, donc, que celle de Karl Paquette, au berceau duquel les fées ont déposé bien des présents, et qui a su leur dire merci : on en jugera le 31 décembre dans ce Cendrillon ludique, festif, doré, qu’il a choisi pour tirer sa révérence, en compagnie de la jeune étoile Valentine Colasante. Une magie ensoleillée qui lui va bien.
Jacqueline Thuilleux
Photo © James Bort-OnP
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