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Baptiste Trotignon, Michael Hofstetter et l’Orchestre national d’Île-de-France – Un jazzman chez les classiques – Compte-rendu
Qui a dit que le classique et le jazz ne pouvaient pas cohabiter et mutuellement s’apporter ? Mozart peut-il swinguer ou exprimer un certain blues ? Evidemment ! La vraie question serait plutôt : comment ? Et c’est précisément là que ça passe, ou ça casse !
Le concert joliment intitulé « Miroirs » proposé par l’Orchestre national d’Île-de-France dirigé par Michael Hofstetter confronte avec beaucoup de justesse et de goût, l’extrême classicisme de Joseph Haydn (Symphonie n° 100 « Militaire ») et de Mozart (Concerto pour piano et orchestre n°1) et le jazz singulier, à la fois écrit et improvisé, de Baptiste Trotignon (photo). A ce dernier revient la gageure d’interpréter le Concerto en fa majeur KV 37 de Mozart et d’improviser ses propres cadences, comme il était d’ailleurs d’usage à l’époque. Autant dire tout de suite que le musicien a relevé le défi avec brio, et que cette musique l’inspire. Ses improvisations très « free », virtuoses et rebondissantes, y étaient dignes des lignes du grand Wolfgang et se fondaient avec souplesse, sensibilité et naturel au reste du concerto.
Michael Hoffstetter © Stuart Armitt
Baptiste Trotignon rapporte volontiers les paroles de son ami Aldo Romano : « L’improvisation, ça ne s’improvise pas. ». Entendons, ça se travaille, ça ne tombe pas du ciel. Après des heures et des heures de recherche au clavier, le musicien est paré à toute éventualité, prêt à se jeter dans l’inconnu ou plutôt l’imprévu. Contrairement à la musique écrite, dans l’univers de jazz, « on ne fait pas comme c’est écrit, on ne fait pas comme on a dit ». Le jazz appelle une autre exigence, une autre nécessité, une forme d’urgence qui interdit la répétition, qui encourage l’exploration. Un tel musicien entre en totale résonance avec l’approche mozartienne. Bien plus qu’une confrontation, il s’agit donc là d’un dialogue très émouvant qui enrichit le vocabulaire de l’un et de l’autre.
Rien de tel pour éveiller les esprits et les sens, et se laisser porter par le génie de Haydn, décidément trop rare en concert. La Symphonie n°100 « Militaire », avec cuivres et percussions, est prodigieuse d’esprit et de variétés. Sous la conduite du chef allemand, l’Orchestre national d’Île-de-France, bien échauffé, fait jaillir tous ces effets avec enthousiasme et sincérité.
Cela viendrait-il du concertino signé Trotignon qui ouvrait la soirée ? L’air de rien a été composé en 2018 en réponse à une commande de l’Orchestre national d’Île-de-France et mêle musique écrite (parties avec orchestre) et passages improvisés (pour le soliste). Un œuvre écrite dans « l’urgence au milieu de multiples tourments », où Baptiste Trotignon a fait le choix d’une désinvolture rigoureuse et exigeante, une forme de légèreté pour parler de la profondeur, comme ce tango final aux couleurs sombres. L’auditeur évolue avec les interprètes et s’embarque dans une musique onirique, suggestive, efficace, élégante. « Je fais de la musique pour essayer de comprendre ce que c’est, et le partager », confie l’auteur. Mission accomplie.
Gaëlle Le Dantec
Paris, Cité de la musique, le 4 décembre 2018
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