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Zauberland (sur des musiques de Schumann et Bernard Foccroulle) aux Bouffes du Nord – Singularité et intériorité - Compte-rendu

L’idée est séduisante : celle de donner une suite aux Dichterliebe de Schumann, suite replacée dans un contexte de notre époque. Ainsi est né Zauberland (le pays enchanté), de la rencontre avec la mise en scène de Katie Mitchell, la musique de Bernard Foccroulle et les textes de l’écrivain britannique Martin Crimp (par ailleurs librettiste du compositeur George Benjamin). Foccroulle, ancien directeur de la Monnaie de Bruxelles et du Festival d’Aix mais aussi organiste et compositeur, a pris prétexte de l’état initial des célèbres Amours du poète (1840), cycle de 20 lieder réduits à 16 par Robert Schumann soi-même, pour le prolonger sous la forme de 19 chants composés pour l’occasion. Les textes, en anglais, de Crimp élargissent alors le sujet, en allemand, des poésies de quête amoureuse de Heinrich Heine, à l’errance migrante d’une femme d’aujourd’hui cherchant refuge en Allemagne au sortir des tourments de son Proche-Orient natal embrasé. Des mots puissamment suggestifs sur une musique prenante, en accord avec la dramaturgie imaginée par Mitchell.
 

@ Patrick Berger
 
Tel est ce spectacle créé à Paris au Théâtre des Bouffes du Nord, en prélude à une vaste tournée en Europe et aux États-Unis. L’héroïne revient à la soprano américaine Julia Bullock, aussi à son aise pour distiller l’esprit poétique des lieder de Schumann que les effets dramatiques voulus par Foccroulle, avec un chant éminemment contrôlé dans ses différents registres. Cédric Tiberghien (dédicataire, avec J. Bullock, de Zauberland) l’accompagne dans le dialogue d’un piano délié conjuguant évanescence et emportements.
 
Le plateau se réduit à l’intervention des protagonistes, le pianiste, la chanteuse soliste entre de constants changements à vue de ses robes et quatre acteurs muets tout de noir vêtus s’appliquant aux gestes stéréotypés de policiers et autres représentants de services de migration, autour de rares tables et panneaux allant et venant sous des lumières parcimonieuses. Immédiatement parlant ! dans un mouvement et des situations millimétrées dont Mitchell a le secret. Tout juste regrettera-t-on un aspect répétitif de ces mêmes situations, qui auraient gagné à un instant de surprise et fait quelque peu s’étirer l’heure et quart de la représentation. Mais pour un spectacle sachant marier la singularité et l’intériorité, dans un propos doublement évocateur.
 
Pierre-René Serna

Schumann/Foccroulle : Zauberland - Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, 5 avril ; prochaines représentations : 7, 9, 10, 12 et 14 avril 2019. (Reprises, entre autres : les 6 et 7 décembre à l’Opéra de Lille, du 11 au 15 février 2020 à la Monnaie de Bruxelles, les 19 et 20 mai 2020 à l’Opéra de Rouen) // www.bouffesdunord.com/fr/la-saison/zauberland

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