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Les Trois Âges de l’Homme de Scelsi interprétés par Frances-Marie Uitti au Festival ManiFeste- Plongée mystique - Compte-rendu
Voisine du Centre Pompidou, l’église Saint-Merry a cette particularité, quasi-unique parmi les églises de France et de Navarre, de présenter tout au long de l’année une série de concerts de musique contemporaine intitulée « Rendez-vous contemporains ». C’est dans ce cadre que s’inscrit, en coréalisation avec le festival ManiFeste et l’Ircam, ce concert dédié à Scelsi. Giacinto Scelsi (1905-1988) fut un compositeur hors des écoles instituées, remis à l’honneur par les spectraux dans les années 1970, dont les œuvres restent encore rares au concert en raison certes de leur originalité mais aussi de leur difficulté. Ainsi Les Trois Âges de l’Homme, qui allient virtuosité extrême et intensité expressive.
L’œuvre, pour violoncelle solo composée de 1956 à 1965, se présente sous forme d’une trilogie, comme son nom l’indique, sous-titrée : « Triphon (Jeunesse-Énergie-Drame) », « Dithome (Maturité-Énergie-Pensées) » et « Ygghur (Vieillesse-Souvenirs-Catharsis-Libération) ». Ce qui exprime les intentions, à la fois en référence à la spiritualité extrême-orientale et à une méditation à tendances mystiques bien dans la veine du compositeur. Cette « autobiographie en son » (Morton Feldman) se veut aussi une exploration des possibilités infinies du violoncelle, entre quarts de ton, contrastes micro-tonaux, rythmes distordus, énergie compulsive et apaisements alanguis. Dans une espèce d’esthétique planante et d’envoûtements, rappelant le naguère courant « New Age » et annonçant le mouvement spectral à venir dans la musique contemporaine.
À Saint-Merry, dans une acoustique de réverbération tout à fait propice, l’œuvre est à la charge de l’Américaine Frances-Marie Uitti (photo). La violoncelliste figure l’intercesseur même ; créatrice de la pièce en 1976 à Côme – et sa dédicataire –, elle l’a par la suite reprise en diverses occasions. Ce concert représente donc à la fois le résultat d’un long parcours et l’authenticité de sa transmission. Passant au gré de chacune des parties de l’une à l’autre des trois estrades aménagées pour la circonstance, Uitti délivre cette virtuosité sauvage, mais aussi ce sentiment de transcendance, en particulier dans le génial dernier mouvement « Ygghur » tout d’intériorité éplorée, dont on veut croire qu’elle constitue la détentrice privilégiée. Avec cette technique maîtrisée et assumée, propre à se faire oublier pour n’en laisser transparaître que le message. Un moment choisi, d’exception assurément, comme une plongée dans un autre monde !
Pierre-René Serna
Paris, église Saint-Merry, 13 juin 2019 // Festival ManiFeste- 2019 : manifeste.ircam.fr/
Photo © Francesca d’Aloja
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