Journal
Simon Boccanegra selon David Hermann à l’Opéra de Montpellier – Plateau royal – Compte-rendu
Le Simon Boccanegra de David Hermann (1) s’ouvre comme un grand livre pop-up, dévoilant un décor tournant dont chaque partie, resserrée, projette opportunément les voix vers la salle. Cela permet qu’elles ne se diluent pas dans le Corum, cet opéra hangar que la fin du 20ème siècle nous a légué, comme Bastille et Dijon. Des lieux confortables pour le public, mais qui le sont souvent moins pour la musique. La production, née à Anvers, donnée à Karlsruhe, a subi un rééquilibrage pour être adaptée à de nouveaux interprètes et au vaste espace.
© Marc Ginot
Le propos d’Hermann rappelle celui de Johan Simons pour Bastille en 2006. La caricature politique, moins appuyée, privilégie une lecture érudite et esthétique de ce Verdi fascinant. Le prologue, shakespearien dans sa complexe noirceur, est lisible jusque dans les hiatus temporels, vingt-cinq ans séparant l’intrigue préliminaire de l’action proprement dite.
Les premiers instants dévoilent l’anguleux salon d’un palais où écrit Boccanegra, maire de Gênes. À l’avant-scène, Paolo et Pietro lancent leurs complots depuis un téléphone public. Les costumes, signés Christof Hetzer, se superposent sans s’interférer, renaissance quant à la réminiscence du passé, contemporains pour l’action politique. La plèbe est sale mais vêtue de clair, comme le sera Amelia. Seule femme de l’intrigue, victime sacrificielle de la politique, Hermann en fait une vierge vêtue d’azur lors de la magistrale scène couronnant l’acte I. L’image fait murmurer la salle, d’autant que l’assemblée des « abbés » génois (titre donné aux notables gouvernant la cité au Moyen-Âge) se transforme en réplique de la Cène de Léonard de Vinci.
© Marc Ginot
La solitude du Doge Simon, presque christique, rejoint celle du Philippe Il de Don Carlos. Giovanni Meoni y émeut dès ses premières notes. Son Boccanegra est un homme du commun, résilient puis résigné, que motive d’abord l’amour pour sa fille. Ce baryton au timbre clair, d’une intense sobriété, évoque José Van Dam. Leon Kim impose une personnalité cinglante en Paolo. Baryton presque basse, pourvu d’un timbre d’un noir moiré, le chanteur coréen est puissant, jamais hurlant. Iago et Macbeth devraient être des rôles taillés à sa forte présence. Jean Teitgen s’avère d’une autorité impériale en Fiesco. Sa basse imposante, profonde, n’a aucun mal à remplir l’aéroport acoustique. Elle semble faite pour devenir un jour celle d'un grand Wotan. Le Gabriele du napolitain Vicenzo Costanzo dispose d’un ténor confortable, sans aspérités ni défaillances, dont les couleurs chaudes se marient parfaitement avec l’Amelia de Myrto Papatanasiu. Elle aussi recevra des applaudissements enthousiastes. Mozartienne ensorcelante (elle fut une Elvira de haut vol à Genève, la saison passée, avec Patrizia Ciofi en Anna), la soprano grecque domine le rôle d’Amelia. Quelques happy few l’ont déjà surnommée « Baby Callas ». Qu’on se rassure, elle n’en a pas le mimétisme vocal ... S’il y avait une filiation à établir, ce serait davantage Anja Harteros, avec plus de rondeur dans les articulations. Au final de l’acte I, la qualité du timbre, irradié par un Verdi au sommet de l’émotion, provoque le frisson sacré.
Michael Schønwandt © Marc Ginot
Il fallait à de tels chanteurs un orchestre et une direction d’excellence. Michael Schønwandt cajole les pppp comme les éclats assassins d’une partition magistrale de concision dramatique et qu’illustrent les pupitres de l’Orchestre national Montpellier Occitanie. Gémissements des clarinettes, raucité fauve des cuivres, suavité des cordes, il s’affirme ici un excellent orchestre de fosse que transfigure la lecture du chef danois, intense à la Abbado mais sans les excès de Gatti.
Vincent Borel
(1) On retrouvera D. Hermann la saison prochaine à Montpellier pour une nouvelle production de Falstaff (du 15 au 22 mars 2020)// www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/falstaff-0
Verdi : Simon Boccanegra – Montpellier, Le Corum – Opéra Berlioz, dimanche 16 juin ; prochaine représentation le 18 juin 2019 // www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/simon-boccanegra
Photo © Marc Ginot
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