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Don Giovanni aux 150èmes Chorégies d’Orange – Un taxi pour l’enfer – Compte-rendu
Pour Jean-Louis Grinda, directeur des Chorégies d’Orange, Don Giovanni peut tout à fait être représenté au théâtre antique ; « il faut arrêter de ses poser de faux problèmes par rapport au lieu », lance-t-il. Enchaînant qu’il est stupide de « toujours brosser le public dans le sens du poil ». Et de joindre l’action à la parole en proposant le chef-d’œuvre de Mozart devant le mur et en en confiant la mise en scène au britannique Davide Livermore pour clôturer l’édition du 150ème anniversaire du plus vieux festival de France. Avec le risque de ne pas faire l’unanimité, ce qui fut le cas…
Qu’il est difficile à suivre, Davide Livermore, dans sa mise en scène de Don Giovanni. Pour essayer d’y comprendre quelque chose, il faut avoir lu sa note d’intention où il affirme : «Don Giovanni a besoin de règles pour les détruire alors que le Commandeur veut le chaos pour le formaliser» avouant vouloir mettre en avant une lecture intemporelle, politique et sociale du dramma giocoso avec le triomphe final des réactionnaires face aux révolutionnaires. Ça c’est dit !
Erwin Schrott (Don Giovanni) © Gromelle
L’opéra ne s’en trouve pas tout chamboulé et les éléments pour arriver à ses fins ne sont pas très novateurs ; nous avons déjà vu des chevaux sur scène, qu’ils soient à vapeur ou à crottin, nous avons déjà entendu parler les revolvers et avons eu la possibilité de nous rincer l’œil aux ébats lascifs, hétérosexuels ou non, de dames moulées dans de petites robes rouges et hommes de cuir recouverts. De ce côté là, pas grand chose de nouveau. C’est sur le mur qu’arrive la nouveauté avec un mapping vidéo des plus réussis, quasiment l’unique satisfaction esthétique de la soirée ; et encore… Alors que Leporello égrène l’air du catalogue, ce sont des images de femmes assassinées qui s’affichent au mur ; comme si nous n’avions pas compris la vraie nature du Don Giovanni que Livermore veut nous faire avaler. Flash back. Un « yellow cab », Renault Mégane type 1, arrive à fond sur scène et freine en faisant crisser ses pneus ; adepte de la répétition, le metteur en scène nous gratifiera de quelques entrées similaires pendant la représentation. Leporello est au volant ; bonnet de docker sur la tête, blouson : une vrai petite frappe.
Don Giovanni sort de l’auto et grimpe dans l’appartement de Donna Anna au moyen d’un ascenseur virtuel qui se meut sur le mur. Embrassades derrière la fenêtre projetée et les choses se passent mal. Le dissoluto redescend à la hâte, poursuivi par la dame brune plus qu’en colère. Arrive un gros 4x4 noir, vitres teintées, d’où sort un parrain-commandeur révolver à la main. Ça tombe bien, Don Giovanni en a un lui aussi : duel ! Les deux s’écroulent puis se relèvent alors que des doublures prennent leur place. Celle du commandeur sera emportée par ses sbires, celle de Don Giovanni restera figée au sol jusqu’à ce que l’action se reproduise (pourquoi ?) pendant l’air du champagne. Et dans cette logique, la scène du dîner verra se rejouer le duel, Don Giovanni succombant, cette fois-ci sous les balles du commandeur mafieux.
Mariangela Sicilia (Donna Anna) & Stanislas de Barbeyrac (Don Ottavio) © Gromelle
Entre temps Donna Anna aura trimbalé son benêt d’Ottavio tout en embrassant Don Giovanni à bouche que veux-tu dès qu’elle en a l’occasion, Donna Elvira, un tantinet nymphomane, se fera lutiner dans le taxi par un Leporello grimé en son patron, et Zerlina décidera presque d’abandonner son pataud de Masetto pour une vie, cuisse légère, qui pourrait lui éviter d’aller quotidiennement planter des choux et ramasser les patates. Au soir de la première, cette vision de « l’opéra des opéras », dixit Wagner, a été diversement accueillie, les hués et sifflets semblant l’emporter. Il faut dire que faire de Don Giovanni, mythique séducteur, un voyou violent et vulgaire et du Commandeur un capo di tutti i capi d’opéra, à défaut d’opérette, n’a pas eu l’heur de plaire à ce public qu’il faut arrêter de brosser dans le sens du poil… En fait, ce n’est pas l’intention qui dérange, un festival pouvant, et devant, permettre d’éviter de « muséographier » l’art lyrique, mais un traitement qui manque de lisibilité.
Adrian Sâmpetrean (Leporello) & Karine Deshayes (Donna Elvira) © Gromelle
Une chose est certaine, cette incarnation du personnage de Don Giovanni a semblé plaire à Erwin Schrott qui use et abuse de son physique de bogosse latino pour coller totalement à la vision de Livermore. Ce qu’il fait avec d’autant plus de facilité qu’il maîtrise vocalement le rôle ; une leçon de chant et de jeu. Moins d’aisance vocale chez Adrian Sâmpetrean qui est cependant tout à fait crédible dans son rôle de valet bouffon. Mozartien dans l’âme, Stanislas de Barbeyrac est un Ottavio vocalement parfait, apportant distinction et lumière dans cet environnement particulier. Tout comme Karine Deshayes qui excelle en Donna Elvira. La voix de Mariangela Sicilia est parfois sur le fil mais le jeu est là ; quant à la Zerlina d’Annalisa Stroppa elle est séduisante avec une belle ligne de chant. Igor Bakan offre un Masetto pataud à souhait avec une belle projection et Alexeï Tikhomirov (photo) un commandeur mafieux et sonorisé.
Les chœurs des Opéras de Monte Carlo et du Grand Avignon sont, eux, très bien préparés et, enfin, comment ne pas saluer la distinction et l’intelligence de la direction (par cœur) de Frédéric Chaslin qui fait sonner de façon très mozartienne, un excellent Orchestre de l’Opéra de Lyon, limpide et précis à tous les pupitres, dans la lignée qualitative de ce qu’il avait déjà fait entendre pour Tosca au Festival d’Aix-en-Provence il y a quelques jours. En fait, si Davide Livermore était allé jusqu’au bout de sa pensée, il aurait fait repartir Don Giovanni, mort, dans la malle du taxi jaune… Un taxi pour l’enfer, en quelque sorte !
Michel Egéa
Mozart : Don Giovanni – Orange, Théâtre antique, 2 août 2019 ; seconde représentation le 6 août // https://www.choregies.fr/programme--2019-08-02--don-giovanni-mozart--fr.html
Photo © Gromelle
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