Journal
Théotime Langlois de Swarte – Radieux archet
Le 15 novembre dernier, l’interprète se produisait avec Justin Taylor à l’Amphithéâtre de la Cité de la musique. Concert passionnant – disponible à la réécoute sur le site de France Musique (1) – au cours duquel il s’est partagé entre violon baroque (un magnifique Jacob Steiner de 1665, autrefois joué par Reinhard Goebel, que lui prête la Jumpstart jr. Foundation) et violon moderne (et le claveciniste entre le mythique Couchet de 1652 et un Pleyel de 1959). La guerre entre les anciens et les modernes est vraiment d’une autre époque, que T. Langlois de Swarte n’a pas connue. Pour lui, l’alternance entre les deux types d’instrument est la chose la plus naturelle du monde et ce depuis le début de son parcours, ou presque.
© Jean-Baptiste Millot
C’est à Céret qu’il naît en 1995, dans une famille de professeurs de chant. Dès quatre ans, il se met au violon : « J’étais attiré par les archets qui me faisaient penser à des épées, s’amuse-t-il. Il y a un rapport très fort à la voix dans ma famille ; ce qui m’a toujours plu dans le violon, c’est la dimension vocale. » A neuf ans, le gamin entend Patrick Bismuth en concert. « J’ai immédiatement été fasciné par le violon baroque et, peu après, j’ai participé à une masterclass de P. Bismuth à Perpignan ; il n’avait jamais encore eu affaire à un élève aussi jeune. » Plus encore que la découverte de l’instrument, celle de la grammaire baroque, à commencer par l’inégalité des notes, perturbe quelque peu ... et séduit notre apprenti violoniste !
La leçon d’engagement de Devy Erlih
Désormais violon baroque et violon moderne seront présents dans son activité. Au Conservatoire de Toulouse, il les étudie tous deux auprès de Gilles Colliard. Seize ans : le moment de prendre le chemin de Paris est venu. Rentrée 2011 : T. Langlois de Swarte rejoint la classe de Devy Erlih à l’Ecole Normale de Musique-Alfred Cortot. Rencontre trop brève hélas – le professeur disparaîtra dans de tragiques circonstances en février 2012 – mais déterminante pour l’adolescent. « Joue comme si tu n’avais plus que ça pour vivre ! » : la leçon d’engagement du maître le marque à jamais ... Auprès d’Igor Volochine, toujours à l’Ecole Normale, il achève de se préparer pour le CNSMD de Paris et y fait son entrée en 2014, chez Michaël Hentz pour le violon moderne.
« Un musicien qui a beaucoup joué avec Celibidache, rappelle T. Langlois de Swarte ; il a une manière très particulière de travailler le matériau sonore. Son esthétique est a priori à l’opposé du violon baroque, mais tellement différente de ce que j’avais connu jusque là que ça m’a énormément apporté en matière de lyrisme, d’imitation de la voix. »
Elle m'a offert ma chance
Quant au violon baroque, il s’y consacre sous la conduite de Stéphanie-Marie Degand. Personnalité rayonnante et généreuse, « son enseignement est très axé sur la pratique d’ensemble ; une pédagogie très libre, ouverte aux propositions des élèves. » Et le professeur sait faire confiance au talent : « Stéphanie m’a offert ma chance ; elle m’a engagé pour jouer des concertos de Leclair avec la Diane Française au Festival de Sablé en août 2018 (2) ; c’est elle qui m’a permis de me lancer en solo. » Capté par Culturebox ce concert, largement diffusé, joue un rôle déterminant dans la carrière naissante d’un artiste qui achève son cursus au CNSMDP l’année suivante.
La belle aventure du Consort
Bien des choses se seront mises en place au cours des cinq années passées à la Villette. A commencer par la rencontre avec Justin Taylor – vrai coup de foudre musical ! De trois ans l’aîné du violoniste, le claveciniste termine le Conservatoire en juin 2015 et lui demande d’ailleurs de l’accompagner pour son Prix. A la rentrée 2015, le Consort est officiellement créé ; une belle aventure commence ... « Nous avions envie de mener un travail de musique de chambre très abouti, explique T. Langlois de Swarte. Peu d’ensembles se consacrent pleinement à la sonate en trio. » Telle est la voie choisie par les quatre instrumentistes. « L’effectif à deux violons, à la différence du flûte-violon, nous permet de faire du répertoire italien (Vivaldi, Corelli). » Des auteurs pour lesquels les jeunes artistes se passionnent allant – chose rarissime en musique baroque – jusqu’à apprendre les pièces par cœur avec « la volonté de construire un répertoire, avec des œuvres emblématiques, et de les défendre comme pourrait le faire un quatuor moderne dans son répertoire ». Si la musique italienne réussit au Consort, celui-ci ne fait pas moins merveille côté français. Le disque Dandrieu précité le prouve, tout comme, sorti chez Alpha également, « Venez chère ombre », merveilleux programme autour de la cantate française avec la mezzo Eva Zaïcik, partenaire de l’ensemble depuis l’origine.
La confiance de William Christie
Le succès n’aura d’ailleurs pas tardé pour le Consort : en 2017 il remporte le Premier Prix et le Prix du Public du Concours international de musique ancienne du Val de Loire, compétition fondée et présidée par William Christie. A cette date, T. Langlois de Swarte, recommandé par Stéphanie-Marie Degand, avait déjà eu l’occasion de participer à l’orchestre des Arts Florissants. Depuis le succès du Consort au Concours, William Christie fait régulièrement appel au violoniste pour des projets chambristes. Ce sera à nouveau le cas, le 4 février prochain à l’Amphithéâtre de la Cité de la musique (reprise le 6 au Musée Jacquemart-André), pour un « Salon de la Duchesse du Maine » (œuvres de Mouret, Bernier, Clérambault), avec Emmanuelle de Negri et Thomas Dolié. T. Langlois de Swarte ne cèle pas son impatience de retrouver « une atmosphère très collégiale, où tout le monde à droit à parole, un mode de fonctionnement qui fait penser à celui d’un jeune ensemble. La transmission, le partage sont très importants pour William Christie ; il est vraiment dans un rapport de générosité avec la musique. »
Le violon de Sarasate
Notre interprète n’en oublie pas pour autant le violon moderne : le 7 février à Dijon (Archives départementales de la Côte d’Or), il aura entre les mains son Alessandro Gagliano pour un séduisant concert-lecture consacré au violon de Sarasate. Avec la complicité d’Edouard Bouyé pour la narration – qui s’appuiera sur un texte de Jean-Philippe Echard, conservateur en charge de la collection d’instruments à archet du Musée de la musique et auteur d’un excellent petit livre sur l’instrument du virtuose espagnol (3) – T. Langlois de Swarte fera revivre l’histoire d’un violon mythique, fabriqué à Crémone en 1724, passé entre les mains de Paganini, et qui, acheté probablement à Vuillaume au mitan des années 1860, accompagna la carrière du virtuose espagnol. C’est sur cet instrument (conservé au Musée de la musique) que fut créée la Symphonie espagnole d’Edouard Lalo, le 7 février 1875. Bach, Telemann, Paganini, Lalo, Saint-Saëns et, bien évidemment, Sarasate sont au programme de ce voyage musical à travers les siècles.
Avocat passionné de Jean-Marie Leclair
Un mois plus tard (19/03), on retrouve T. Langlois de Swarte – en mode baroque – au côté du remarquable ensemble Les Ombres à Montpellier pour un concert Leclair-Vivaldi. « J’aime beaucoup les concertos de Leclair, trop peu joués. Ils sont moins prisés que ceux de Vivaldi, mais il est intéressant de les mettre en dialogue avec ceux-ci car on a affaire à deux écritures qui se ressemblent, tout en présentant beaucoup de différences. On trouve une grande virtuosité chez Jean-Marie Leclair, née de sa rencontre avec Locatelli. » Puisse le violoniste vite trouver une occasion d’enregistrer quelques ouvrages de Leclair, auteur bien mal servi par le disque.
Deux alléchants projets pour Harmonia Mundi
Pour l’heure, deux alléchants CD se profilent chez Harmonia Mundi. « Mad Lover » tout d’abord, un disque autour de la musique anglaise du début du XVIIIe siècle avec le luthiste Thomas Dunford. Quant au versant moderne du talent de T. Langlois de Swarte, il s’exprimera sur le Stradivarius « Davidoff » du Musée de la musique, avec Tanguy de Williencourt au clavier, dans un original programme à dominante française et de caractère très ... proustien. On vous laisse la surprise ... Mise en boîte en septembre prochain ; sortie fin mars 2021 dans la collection Stradivari d’Harmonia Mundi !
Alain Cochard
(Entretien avec Théotime Langlois de Swarte réalisé le 18 janvier 2020)
(2) www.concertclassic.com/article/la-diane-francaise-au-festival-de-sable-pour-la-gloire-de-leclair
(3) Jean-Philippe Echard : « Le Violon Sarasate ; Stradivarius des virtuoses » / Musée de la musique, 122 p., 12 €
« Salon de la Duchesse du Maine »
4 février 2020 – 20h30 / Paris – Cité de la musique
philharmoniedeparis.fr/fr/activite/concert/20931-salon-de-la-duchesse-du-maine?date=1580844600
www.theotimelangloisdeswarte.com/concerts/salon-duchesse-artsflo-3/
Le violon de Sarasate
7 février 2020 – 20h30 / Dijon – Archives départementales de la Côte d’Or
www.arteggio.org/agenda
De Venise à Paris – Vivaldi / Leclair
19 mars 2020 – 19h / Montpellier – Opéra-Comédie
www.lesombres.fr/agenda-details/montpellier-leclairvivaldi
Calendrier des concerts de Théotime Langlois de Swarte :
www.theotimelangloisdeswarte.com/concerts/
Photo © Jean-Baptiste Millot
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