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150ème anniversaire de la naissance de la Société Nationale de Musique (1) – Ars gallica
Riche année pour la mémoire de la musique française que 2021. Outre le centenaire de la disparition de Camille Saint-Saëns et de Déodat de Séverac, on commémore aussi le 150e anniversaire de la naissance de la Société Nationale de Musique (SNM), jalon essentiel s’il en est dans le cours de l’histoire. Pendant le dernier tiers du XIXe et les premières années du XXe siècle, l’activité de la SNM constitua en effet un formidable moteur pour la création et favorisa la naissance d’ouvrages parmi les plus marquants de leur temps. Pièces pittoresques (1881) – sont ici indiquées les dates de création sous l’égide de la SNM – et Bourrée fantasque (1893) de Chabrier ; Quintette avec piano (1880), Prélude, Choral et Fugue (1885), Variations symphoniques (1886) et Quatuor (1890) de Franck ; Sonate n° 1 pour violon et piano (1877), Quatuors avec piano nos 1 et 2 (1880 et 1887) de Fauré ; Symphonie (1891) de Chausson ; L’Apprenti sorcier de Dukas (1897), Quatuor (1893), Prélude à l’après-midi d’un Faune (1894) et Pour le piano (1902) de Debussy, sans oublier, du côté de la mélodie, les Ariettes oubliées (1889) de ce même Debussy ou, de Fauré, les Mélodies de Venise (1892) et la première publique de la Bonne chanson en 1895 : ce ne sont là que quelques exemples d’ouvrages à mettre au crédit de la Société Nationale de Musique ; une liste déjà fabuleuse que l’on pourrait longtemps prolonger ...
Un contexte historique déterminant
L’avènement de la Société Nationale de Musique ne saurait se comprendre indépendamment du contexte de la guerre franco-prussienne et de ses conséquences. Le vendredi 2 décembre 1870, Napoléon III capitule à Sedan, moins d’un mois et demi après le début du conflit. Deux jours plus tard, le Second Empire s’effondre ; la République est proclamée, un gouvernement provisoire se constitue dans la foulée. Ce n’est toutefois qu’en 1875, avec le vote de trois lois constitutionnelles, que naîtra la IIIe République. Période complexe, troublée que la phase transitoire correspondant à la première moitié de la décennie ; elle s’ouvre avec le siège de Paris, suivi par la Commune qui débute le 18 mars, deux mois jour pour jour après que l’Empire allemand a été proclamé dans la galerie des Glaces à Versailles. Les desseins de Bismarck s’accomplissent ...
Une dimension nationale clairement revendiquée
C’est entre ces deux dates, dans une capitale traumatisée tant par la défaite que par les conséquences d’un siège éprouvant que, le mercredi 25 février, César Franck, Ernest Guiraud, Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Jules-Auguste Garcin, Jules Massenet, Alexis de Castillon, Henri Duparc, Théodore Dubois, Paul Taffanel et Romain Bussine se réunissent pour poser les bases d’une Société placée sous la devise Ars gallica. La dimension nationale est clairement revendiquée : « Cette Société, précisent les statuts rédigés par A. de Castillon, se propose avant tout d’instruire par l’étude des œuvres inconnues, éditées ou non, des compositeurs français faisant partie de la Société. Personne ne pourra faire partie de la Société à titre de membre actif s’il n’est pas français ».
La SNM se donne pour mission d’aider ses membres à faire entendre leurs œuvres, réalisations instrumentales en particulier (surtout chambristes), sans exclure la mélodie et la musique chorale. D’évidence, les promoteurs de la SNM entendent réagir contre une vie musicale considérablement dominée par l’opéra durant les deux premiers tiers du XIXe siècle, mais aussi répondre à la difficulté – plus souvent à l’impossibilité – pour les jeunes compositeurs français de faire entendre leurs œuvres dans des sociétés musicales où le répertoire germanique (Haydn, Mozart, Beethoven) domine de manière écrasante.
Romain Bussine président
Le 17 mars, la SNM – réunie dans son local du 4 rue Chabanais – forme son comité exécutif avec Romain Bussine (1) à la présidence, Ernest Reyer vice-président (il sera remplacé par Saint-Saëns en 1872), Castillon secrétaire, Garcin secrétaire-adjoint, René Leroy trésorier et Paul Taffanel trésorier-adjoint. Tout est prêt, mais les événements politiques – Paris se soulève le lendemain contre la tentative de désarmement de la Garde nationale par le gouvernement d’A. Thiers – vont retarder de quelques mois le démarrage des activités. Il faudra attendre le 17 novembre 1871 pour que se tienne le premier concert de la Société Nationale dans les salons Pleyel, 95 rue de Richelieu. Le célèbre facteur aura été l’un des tout premiers soutiens financiers de la SNM – en 1872 celle-ci obtiendra une subvention du Ministère des Beaux-Arts, modeste aide de de 200 francs ...
Sous l’aile du « Père Franck »
Le Trio en si bémol majeur de César Franck ouvre ce concert inaugural. Cet hommage au « Père Franck », comme le souligne justement Jean Gallois(2), est aussi une manière de s’abriter sous son aile ... A côté de cette partition de jeunesse (1839) du compositeur (né belge et naturalisé français en 1870), figurent deux mélodies de Dubois, les Cinq pièces dans le style ancien de Castillon, des extraits du cycle de mélodies Poème d’avril et une Improvisation pour ténor de Massenet et la Marche héroïque de Saint-Saëns dans sa version primitive pour deux pianos. Le succès est au rendez-vous et favorise l’afflux d’adhésions (3) à la SNM. (4)
Faire savoir, indispensable ingrédient des réussites ... « Vers le milieu de la saison, rapportera Saint-Saëns, le comité eut l’idée de donner une séance extraordinaire avec les ouvrages qui avaient eu le plus de succès dans les auditions précédentes, et d’y inviter de notabilités du monde musical. L’effet de cette séance fut prodigieux. L’illustre auditoire ne cherchait pas à cacher sa surprise. On pouvait donc faire un programme intéressant avec des compositions nouvelles, signées de noms français ! Un pareil concert n’était pas seulement possible, il était charmant, même pour les auditeurs les plus prévenus et les plus difficiles. On peut dire que, de ce jour, le but de la Société fut atteint. De ce jour, en effet, les œuvres françaises apparurent sur les programmes de concerts, qui jusque-là n’avaient point osé les admettre. ».
Vincent d’Indy avocat de l’ouverture de la Société
Forte de ce coup de projecteur, la Société Nationale va désormais connaître un bel essor avec une dizaine de concerts en moyenne par an. Le 29 octobre 1876, Vincent d’Indy est nommé secrétaire.(5) Son point de vue diffère totalement de celui de Saint-Saëns et Bussine, attachés au caractère national des statuts de la SNM. L’auteur de Wallenstein est pour sa part favorable à une ouverture des programmes de la Société à des compositeurs étrangers. Il parviendra à ses fins en 1886, provoquant en réaction la démission de Saint-Saëns et de Bussine. Avec l’ouverture des concerts de la SNM à des auteurs autres que français (Edvard Grieg sera le premier), un nouveau chapitre de la belle histoire de la Société Nationale s’ouvrira ...
Alain Cochard
(1) Chanteur, compositeur, poète, pédagogue, Romain Bussine (1830-1899) devint professeur de chant au Conservatoire en 1872. Un nom oublié, mais, à travers l’aventure de la SNM, un acteur proprement majeur de notre histoire musicale.
(2) Dans son indispensable – et ô combien fervent ! –« Camille Saint-Saëns » paru en 2004 chez Margada.
(3) Cité par Jean Gallois (pp. 138-139) dans l’ouvrage sus-mentionné
(4) La SNM comptera 154 membres en 1876, 358 en 1887 – son maximum – puis se stabilisera à nombre moyen d’environ 200 adhérents durant la décennie suivante
(5) D'Indy deviendra président de la SNM en 1890.
Illustration : Entête du papier à lettre de la Société Nationale © Coll. part.
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