Journal
Werther à l'Opéra de Montpellier – Question de perspective – Compte-rendu
La distribution réunie à Montpellier est presque exclusivement francophone et composée de jeunes chanteurs. Dans le couple Schmidt et Johann, “les vieux”, on remarque surtout le ténor Yoann Le Lan, au timbre percutant. Julien Véronèse prête au Bailli une voix pleine de santé, et c’est fort bien ainsi. Sophie est un rôle qui convient parfaitement aux moyens de Pauline Texier, qui l’interprète avec beaucoup de fraîcheur, ses deux airs étant ici transformés en chansons qu’entonne la jeune fille, l’air du rire étant même censé être accompagné au clavecin par Charlotte ; on aimerait prochainement entendre la soprano dans un rôle comme Sœur Constance de Dialogues des Carmélites. Jérôme Boutillier fait d’Albert un personnage avec lequel il faut compter et non un cocu ennuyeux qui a avalé son parapluie ; si la voix est sonore et la diction mordante, la scène de désespoir muet qu’on lui confie entre le troisième et le quatrième est par ailleurs un extraordinaire numéro d’acteur.
De la Charlotte de Marie-Nicole Lemieux, on retient d’abord une diseuse exemplaire, pleine de nuances, articulant sur le souffle tout ce qui s’apparente à du récitatif. Les éclats sont également maîtrisés, sans excès de vibrato, mais avec toute l’intensité dramatique souhaitable. Quel Werther pouvait être son partenaire ? Montpellier a fait le pari d’inviter un ténor qui ne s’est à peu près jamais produit sur une scène française (hormis un concert à Rennes en 2012). Le Guatémaltèque Mario Chang possède de remarquables ressources vocales et accomplit un très bel effort pour prononcer le français (seuls les e muets et accentués posent encore problème) ; il faut maintenant que ce travail soit assimilé pour que l’artiste se libère pleinement, car on a plus d’une fois l’impression que le ténor se bride, pour ne se lâcher que dans les aigus forte.
Déployé dans la fosse et dans tout le parterre, l’Orchestre national Montpellier Occitanie bénéficie de cette disposition spécial-Covid pour plonger l’auditeur dans un bain sonore où, grâce à la direction animée de Jean-Marie Zeitouni, déjà présent à l’Opéra national de Lorraine en 2018, on ne perd pas un détail de l’écriture massenétienne. Le chef canadien privilégie les contrastes et, en complicité avec Marie-Nicole Lemieux, autorise parfois à Charlotte des tempos extrêmement étirés, notamment pour l’air des larmes où l’émotion atteint un sommet, sans pour autant s’alanguir indûment au dernier acte. Après la représentation publique de ce jeudi 20 mai, la captation réalisée au préalable permettra de mieux apprécier encore ce Werther montpelliérain.
Laurent Bury
Photo © Marc Ginot
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