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Une interview d’Olivier Latry – « Je trouve que l’orgue fait parfois office de musicothérapie de groupe ! »
Il revient sur tous les fronts : en fait il continuait de pratiquer son instrument ailleurs qu’à Notre-Dame dont le drame d’avril 2019 l’avait chassé, juste après la sortie, deux semaines avant, de son CD Bach to the future, lequel avait obtenu un succès phénoménal, et demeure un témoignage unique. Mais là, Olivier Latry retrouve un public autre que celui des fidèles : un livre d’entretiens (1) d’une grande fraîcheur avec Stéphane Friédérich, évoquant son expérience à Notre-Dame pendant trente-cinq ans, un superbe CD Liszt, Inspirations (1), où il témoigne des infinies possibilités des claviers de l’orgue (en l’occurrence le Rieger de la Philharmonie de Paris) et qui réjouira les techniciens autant que les simples mélomanes, enfin un concert en juin, à l’église de La Madeleine, suivi de quelques autres cet été. Porté par une inspiration toujours en éveil, une foi vibrante et une passion jamais démentie pour cet instrument qu’il juge transcendant, Olivier Latry diffuse une joie de jouer rayonnante, apaisante autant qu’exaltée. Il nous la fait partager.
Comment continuez-vous à pratiquer votre instrument ?
Olivier LATRY : Sans vrai problème. Nous avons un petit orgue à la maison. En outre, et c’est essentiel, je continue d’assurer les offices dans le cadre de Saint-Germain l’Auxerrois, qui nous a donné abri, à moi et aux autres cotitulaires. En principe nous sommes en alternance pour les offices, mais nous nous sommes arrangés pour nous succéder au rythme d’un mois chacun.
Retournez vous à Notre-Dame ?
O.L. : Oui, bien sûr, et j’en sors justement, mais je n’ai pas accès aux travaux de restauration de l’orgue. Il a fallu très longtemps pour assurer le démontage et le transport, et aujourd’hui, la restauration va enfin pouvoir commencer. Il faut compter trois ans. Le lieu où elle se déroule est absolument secret, même pour les organistes. Les tuyaux sont maintenus verticalement, pour leur meilleur état. Mais je n’ai pas le droit d’aller les voir ! En fait, je crois le plus important pour moi, c’est Notre-Dame. L’orgue bien sûr, qui est une grande partie de ma vie, en est un des joyaux essentiels. Mais les grands et beaux instruments, il y en a partout dans le monde, au Japon notamment, tandis que Notre-Dame est unique.
© Wiliam Beaucardet
Quand vous jouez, dans quelque tribune que ce soit, est ce que vous pensez au lieu précis qui vous abrite ?
O.L. : Chacun est unique, avec une identité propre, très forte. Sur la plupart des orgues, je ressens puissamment le mariage qui se fait entre elles et le lieu, l’histoire, le contexte culturel et social qui les ont portées, engendrées, voulues. Si bien que finalement, je ne crois pas avoir de préférence vraiment marquée. Ce qui compte le plus pour moi, c’est cette fusion. Et le regard qui embrasse les voûtes pendant qu’on joue, la multiplicité des émotions, des sensations ouvrent un voyage dans l’imaginaire qui est prodigieux. Cela tient de la synesthésie !
A côté de votre engagement religieux, dont l’orgue est un flamboyant témoignage, vous aimez aussi jouer un autre répertoire, moins spécifique.
O.L. :Oui, je pense que l’orgue n’est pas destiné uniquement aux églises, à preuve les deux magnifiques instruments qui sont à ce jour en usage à Paris, à la Philharmonie et à Radio France. Le répertoire autre que sacré est énorme. Et les gens qui aiment l’orgue ne sont pas forcément croyants, même si l’aventure qu’induit la plongée dans ce répertoire et ces sons grandioses peut déclencher des questions, voire des réponses !
Rêve d’amour n° 3 (transc. Olivier Latry) :
www.youtube.com/watch?v=Y2ciGS_PPm0
Outre votre livre sur votre aventure avec l’orgue de Notre Dame, vous consacrez un magnifique enregistrement à Liszt, ce séducteur devenu serviteur de Dieu
O.L. : Oui, avec un immense bonheur, car me plonger dans son univers me donne beaucoup de liberté, notamment avec le Liebestraum n°3, que j’ai transcrit moi-même, et que je ne jouerais évidemment pas dans une église ! En fait, j’ai une immense admiration pour lui, car sa grandeur, la largeur de ses vues me bouleversent. Si plusieurs des œuvres choisies pour ce CD ont été transcrites (par Jean Guillou, Marcel Dupré et Camille Saint-Saëns), à part le Ad nos, ad salutarem undam, c’est que Liszt écrit pour un instrument idéal, non vraiment pour l’orgue. La musique l’emporte sur l’instrument et il faut adapter les pièces. Mais avant tout, elles montrent l’infinie richesse de son inspiration, sa générosité, une qualité qui me paraît majeure dans le fait d’être musicien.
A l’église de la Madeleine, où vous allez donner un concert le 13 juin, n’êtes vous pas un peu gêné par l’acoustique, qui est particulière ?
O.L. : Pas du tout, car les problèmes d’acoustique se posent différemment selon le type de musique qu’on y pratique. Je conçois que pour le chant, les choses n’y soient pas faciles, mais pour l’orgue, il n’y a pas de problème. J’y retrouve cette immense émotion d’être enveloppé dans les vagues sonores, d’être un capitaine de vaisseau, voguant sur l’océan. Le public est là, certes, et cela accentue le partage, mais on joue pour Dieu, même lorsque la musique se veut profane ! Je trouve que l’orgue fait parfois office de musicothérapie de groupe !
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 3 mai 2021
(1) A l’Orgue de Notre-Dame, Entretiens avec Stéphane Friédérich, Ed. Salvator
(2) Liszt - « Inspirations » : Fantaisie et Fugue sur B.A.C.H. (version J. Guillou), Rêve d’amour n° 3 (transcr. O. Latry), Variations sur « Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen » (arrgt. M. Dupré), Saint François d’Assise : la prédication aux oiseaux ( transcr. C. Saint-Saëns), Fantaisie et Fugue sur le Choral « Ad nos, ad salutarem undam » - La Dolce Volta LDV 95
Prochains concerts :
Paris, église de la Madeleine, le 13 juin 2021 (16h), entrée libre / bit.ly/3i5mTBL
Egalement le 8 juillet à Reims, Basilique Saint Rémi (dans le cadre des Flâneries musicales, concert partagé avec Vincent Dubois et Philippe Lefebvre, cotitulaires de Notre-Dame de Paris / bit.ly/3fBGQyv) et le 21 septembre à Radio France (un programme orgue et piano avec Eric Le Sage / bit.ly/3c5Rcom)
Photo © William Beaucardet
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