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Une interview de Duncan Ward, directeur musical de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée (Académie du Festival d'Aix-en-Provence) – Engagement et transmission
Quelles ont été vos principales motivations au moment d’accepter de devenir pour trois ans directeur musical de l’OJM ?
Duncan WARD : J’ai trouvé que c’était une opportunité excitante de travailler avec cet orchestre unique composé de jeunes musiciens venus de tous les côtés du bassin méditerranéen, issus de milieux très différents, riches de leurs cultures, elles aussi différentes, mais tous animés par un esprit méditerranéen commun. Je savais pouvoir compter sur les formateurs du London Symphony Orchestra pour les faire travailler, mais je savais aussi qu’ils pouvaient assister aux concerts et aux opéras du Festival qui devenait ainsi une maison idéale pour faciliter l’union de ces musiciens dans le but de constituer un orchestre. J’ai pensé que c’était un défi vraiment intéressant à relever.
Ces musiciens arrivent à Aix-en-Provence avec des niveaux différents et, parfois, des habitudes de pratiques musicales qui leurs sont propres. Comment adaptez-vous le travail de formation ?
D.W. : Notre but unique est de constituer un orchestre. Nous travaillons principalement, dans un premier temps, sur l’écoute mutuelle et sur la communication entre les musiciens pour que l’orchestre puisse fonctionner. Ensuite, c’est vrai qu’ils ont des formations musicales et des niveaux d’expérience très différents pour jouer dans un orchestre ; en particulier cette année à cause de la pandémie. Nombre d’entre eux, même s’ils ont eu la chance de suivre des cours pendant cette période, n’ont pas eu beaucoup de possibilités de jouer en orchestre. Nous avons donc important travail à faire en la matière. Mais le côté positif des choses, c’est qu’ils sont jeunes, enthousiastes, et ils ont faim de tout apprendre. Ils jouent ce répertoire pour la toute première fois et n’ont pas d’idées préconçues. Ils arrivent vierges de toutes références et progressent très rapidement. C’est vraiment excitant.
Les programmes que vous mettez en place sont en majorité composés d’œuvres occidentales et modernes. Comment sont-elles appréhendées par ces jeunes musiciens méditerranéens ?
D.W. : Je crois qu’il n’y a aucun problème de ce côté-là. Tous les musiciens étudient dans des conservatoires et des écoles qui enseignent cette musique. Ils le font avec plus ou moins de facilité mais en grande majorité les conservatoires où ils étudient leurs permettent d’atteindre un bon niveau dans la connaissance et la pratique.
Avez vous remarqué, au sein d’un même pupitre, des sons différents en fonction des nationalités des instrumentistes ?
D.W. : Oui, au début les sons peuvent être différents. Mais rapidement nous travaillons pour harmoniser tout ça. C’est là que l’écoute mutuelle et la communication interne entrent en jeu. Tous arrivent de pays différents avec des langues différentes. Ici ils doivent trouver un terrain d’entente pour construire quelque chose ensemble. C’est un beau projet, musicalement mais aussi humainement.
Avec la WAM Foundation et l’association MIAGI (2), vous luttez contre les inégalités en éduquant les jeunes défavorisés. La musique peut-elle être un outil politique pour améliorer la condition sociale des certaines populations ?
D.W. : C’est un moyen fabuleux d’aider les gens car c’est un langage commun. Je suis allé dans des bidonvilles en Inde avec quelques instruments à percussion. Les enfants ont été fasciné, ils ont joué, chanté. D’un coup toute notion de race ou de condition sociale a disparu. C’est la possibilité pour chacun de s’exprimer mais aussi d’être ensemble et de créer quelque chose en commun. J’ai aussi vécu une expérience très forte à Londres avec le Streetwise Opera (2) qui monte des opéras avec les sans-abris. C’est facile de dire « les sans-abris c’est un problème » on les mets tous dans le même sac, on les croise dans la rue, on leur donne de la monnaie mais on ne s’engage pas avec eux ; même les association caritatives ont du mal à les prendre en considération. Alors avec ce projet qui leur propose de venir chanter avec d’autres, dans une belle salle, ils ne sont plus SDF, ils sont artistes. Ils améliorent leur estime de soi et parfois ça les aide à remettre leur vie sur les rails… Il ne s’agit pas de leur donner de l’argent mais du respect et de la confiance ; de les impliquer dans quelque chose d’émotionnel et de puissant.
On parle souvent de la condition féminine en Inde. Pouvez vous aussi faire participer les jeunes filles à vos actions ?
D.W. : Ce n’est pas évident. Mais on peut arriver… J’ai une amie indienne que j’ai connue lorsque je suis allé là-bas pour la première fois. Elle apprenait le clavier et était très talentueuse. Nous l’avons accompagnée avec la fondation mais lorsqu’il a fallu qu’elle vienne poursuivre des études en Europe les choses se sont compliquées. Elle n’était pas d’une famille pauvre et la seule chose que ses parents envisageaient pour elle si elle ne devenait pas une épouse, c’était de devenir médecin ou avocate. Mais c’était son choix de devenir musicienne. Alors il y a eu un conseil de famille où ne siégeaient que les hommes. Pendant des heures ils ont tenté de la convaincre, lui disant qu’elle serait rejetée par les siens. Mais elle a tenu bon et s’est battue contre eux. Nous l’avons aidé à faire les bonnes démarches et elle a étudié à Glasgow puis à Londres. Aujourd’hui elle est internationalement reconnue et retourne parfois en Inde pour enseigner. Elle a montré le chemin…
Comment avez-vous traversé la crise sanitaire ?
D.W. : D’une certaine manière j’ai eu beaucoup de chance. Lorsque tout a été annulé à cause de la pandémie, je me suis dit qu’il y avait une possibilité de changement total pendant quelques mois. Mes parents ont une ferme complétement perdue dans les collines du pays de Galles, un endroit naturellement isolé. Certains membres de ma famille y vivaient et j’ai décidé d’aller faire une retraite complète dans la nature, m’occuper des animaux, cultiver les légumes, admirer les paysages, courir, nager, faire de la photo ; une coupure totale, en fait. Et ce fut très inspirant et réparateur. Puis, petit à petit, la vie professionnelle a repris le dessus… Et j’en ai profité pour améliorer mon italien et quitter le Royaume-Uni, les quarantaines, le Brexit… Je me suis installé à Cologne, presque au centre de l’Europe.
Votre contrat est d’une durée de trois ans, mais l’année dernière fut particulière. Allez-vous rester directeur musical de l’OJM une année de plus ?
D.W. : L’année dernière aurait dû être effectivement la première. Mais le travail fut numérique. Alors cette année c’est officiellement le début. Il me reste donc deux ans, jusqu’en 2023, puis nous avons signé pour un contrat supplémentaire de trois ans. Pour cette année, nous aurions dû compter 90 musiciens, mais nous n’en avons que 44 du fait que des frontières sont encore fermées. Nous avons donc établi un programme axé sur l’orchestre de chambre.
Est-ce à dire que les sessions de l’OJM pourraient s’ouvrir à deux orchestres, un symphonique et un de chambre dans les années à venir ?
D.W. : (Souriant) C’est une excellente idée et ce serait fabuleux car ce sont des façons très différentes de travailler. On ne sait jamais…
Propos recueillis par Michel Egéa, le 16 juillet 2021
(1) Duncan Ward est une personnalité investie dans la lutte contre les inégalités et a cofondé la WAM Foundation, qui envoie chaque année de jeunes musiciens britanniques enseigner la musique classique occidentale dans des écoles indiennes avec l'envie de créer des vocations. Il est également engagé auprès de l’association sud-africaine MIAGI (Music Is A Great Investment) pour laquelle il dirige une série de concerts pour fêter le centenaire de la naissance de Nelson Mandela en 2018.
(2) www.streetwiseopera.org/
L’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée se produira le 21 juillet à 20 heures au Grand Théâtre de Provence. Au programme : Hannah Kendall, Tuxedo Vasco 'de' Gama ; Ravel, Le Tombeau de Couperin ; Berio : Folk Songs (avec Anna Stephany, mezzo) ; Farrenc, Symphonie n°3 en sol mineur, op. 36.
Le programme sera repris à Montpellier au Festival Radio France Occitanie Montpellier le 22 juillet à 20h et à Mougins le 23 juillet à 21h.
Photo © Alan Kerr
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